lundi 8 février 2010

Lamission Presbytérienne Américaine(MPA) et les mutatios scio -religieuses chez les peuples du Sud-Cameroun(1919-1939),thèse de Doctorat 3è cycle en H

CHRISTIANISME ET ACCULTURATION : LA MISSION PRESBYTERIENNE AMERICAINE ET LES MUTATIONS SOCIO-RELIGIEUSES CHEZ LES POPULATIONS DU SUD-CAMEROUN
1890-1957


Par Samuel EFOUA MBOZO’O
Département d’histoire (FALSH)
Université de Yaoundé I


RESUME :


Parler des mutations socio-religieuses chez les populations du Sud-Cameroun revient à parler non seulement des changements que celles-ci ont connus au contact avec le monde extérieur représenté successivement par les explorateurs, les ethnologues, les colonisateurs et les missionnaires occidentaux, mais aussi des phénomènes d’acculturation, c’est-à-dire de changement de culture, que ces contacts ont entraînés ; c’est parler enfin de la réalité socio-religieuse que vivent aujourd’hui ces populations, réalité dont on n’est toujours pas très sûr du devenir.

L’Occident, après avoir traité le Noir de « Grand enfant », de « Curiosité de la nature », de « bête de somme », s’est donné ensuite la mission sacrée de le civiliser. Le colon et le missionnaire sont donc venus en Afrique pour inculquer la civilisation à ces nègres sauvages et barbares. Conséquence : tout l’univers socio-religieux africain fut transformé. C’est ce processus de mutation dont nous esquissons les grandes lignes dans cet article. Mais le sujet est vaste et multiforme. Aussi, nous sommes-nous limité au rôle joué par la Mission Presbytérienne Américaine dans les mutations socio-religieuses des populations du Sud-Cameroun.


INTRODUCTION

A l’aube du XXe siècle, un grand mouvement de conversion religieuse a fait des populations du Sud-Cameroun (Bulu, Fang, Mvae, Ntumu, Basa’a, Ngumba, Bene, Yebekolo etc.) des adeptes de la religion chrétienne. Et ce sont les missionnaires presbytériens américains qui, entre autres, oeuvrèrent à cette conversion avec plus ou moins de succès.

En effet, à l’exception des peuples de la côte, ceux de l’hinterland du Sud-Cameroun n’étaient pas, jusqu’en 1892, en contact direct avec les commerçants blancs et administrateurs coloniaux bien que le Cameroun fût un protectorat allemand depuis 1884.

C’est le missionnaire presbytérien américain, Adolphe Clemens Good, qui fut parmi les premiers occidentaux à explorer l'hinterland du Sud-Cameroun entre 1892 et 1894. Il créa la première station de la mission à Nkoñemekak (Efulan) en 1893.

Dekar P. Richard rapporte dans sa thèse (1) que, en 1913, un certain Johannes Duplessis visita la mission presbytérienne du Cameroun alors qu’il collectait des informations pour un livre qu’il préparait sur le christianisme en Afrique (2). Duplessis aurait été « très impressionné » par l’organisation multidimensionnelle de la mission presbytérienne américaine au Cameroun. Il rapporta que la stratégie de la Mission de faire de l’Africain quelqu’un, qui a confiance en lui-même et qui est autosuffisant en matière d ‘évangélisation, a débouché sur un certain nombre d’entreprises sociales et religieuses.

Les missionnaires américains baptisèrent les six premiers chrétiens Bulu (première tribu de l'hinterland camerounais évangélisée par les américains ) en 1900. « Mais les années qui suivent « témoignent d’une grande activité et de succès » (3). En effet, de 1901 à 1925, date à laquelle les Bulu se lancèrent à la conquête des tribus avoisinantes pour les évangéliser à leur tour, la mission accrut de 1. 546 à 32 492 membres communiants et 47 164 catéchumènes. Le nombre de missionnaires passa de 31 à 86 répartis en 9 stations (4).
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1) R.P. Dekar, 1978,Crossing religious frontiers Christianity and the
transformation of Bulu Society (1893-1926), ph D. Thesis, Chicago, Faculty of the divinity school of the University.
2) L’étude futeffectivement publiée en 1929 sous le titre :The Evangelization of Pagan Africa, a history of Christian mission to the tribes of central Africa, cape town , edition Juta.

3) R.P. Dekar,1978,Crossing religious frontier...

4) Annual Reports of board of foreign missions of the Presbyterian Church in the USA (64th to 88th : 1901-1902).






La seule station d’Etat, créée en 1901, avait en 1914 plus de 2000 (deux mille) membres, une « liste d’attente » de 15 000 (quinze mille) et une fréquence moyenne aux offices trimestriels du Saint Sacrement d’environ 7000 (sept mille ) : « Elat, avec ses foules considérables qui se rassemblent dans sa grande église est devenue très populaire dans les dernières annales missionnaires » (1)

Par ailleurs, et de l’avis même des missionnaires, le modèle de vie chrétienne d’un niveau élevé et le zèle évangélique des chrétiens Bulu essaimant dans tous les coins du territoire camerounais pour porter la parole de Dieu à leurs frères de race firent croire à un « miracle camerounais » : « son succès, écrit le regretté professeur Engelbert Mveng, fut tel que bientôt le protestantisme sera considéré, pour longtemps, comme la religion naturelle des Bulu… » (2)

Confronté à de telles prétentions, l’historien voudrait savoir si la thèse, selon laquelle l’activité et le succès de la Mission Presbytérienne Américaine au Sud Cameroun sont l’aboutissement logique d’un processus de conversion religieuse, est fondée ou non. Par ailleurs, l’historien voudrait savoir s’il est né quelque chose d’authentique, et si oui, quels ont été l’enchaînement et la dynamique des événements. Pour tout dire, l’historien voudrait savoir comment et pourquoi une nouvelle situation sociale et religieuse est née.

En effet, s’il est possible que les statistiques mentionnées plus haut soient l’expression d’une nouvelle situation sociale et religieuse chez ces peuples, il n’en demeure pas moins qu’elles ne nous expliquent pas comment et pourquoi est née cette situation.

Aussi, pour comprendre la nouvelle vie socio-religieuse de ces peuples, importe-t-il d’abord d’étudier l’ancienne. Qui étaient ces populations avant l’arrivée des Américains ? En quoi consistait leur vie religieuse traditionnelle ? (1ere partie). Ensuite, il est nécessaire de connaître qui étaient ces missionnaires presbytériens américains ? Quelles stratégies ont-ils adopté pour convertir ces peuples au christianisme ? (2ème partie). Enfin, nous évaluons les résultats de la mutation sur les plans social et religieux (3ème partie).
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1) M. Dager, “A great frontier church” in Assembly Herald, 20, September 1914 ,p.513.
2) E. Mveng,1963, Histoire du Cameroun, Paris, Présence Africaine, p.455.














I- LES POPULATIONS DU SUD CAMEROUN AVANT L’ARRIVEE DES AMERICAINS

Pour mieux appréhender les mutations socio-religieuses qui se sont opérées au sein des populations du Sud-Cameroun dans leurs contacts avec les missionnaires presbytériens américains, il faut d'abord étudier leur vie sociale, politique, économique et religieuse avant l’arrivée de ces derniers.

La région du Sud-Cameroun qui nous intéresse est peuplée de bantous dont les Fang-Beti constituent le groupe le plus important. Nous ne reviendrons pas sur la longue Odyssée de ce groupe, parti du plateau de l’Adamaoua et venu se fixer dans la région forestière du Sud-Cameroun.(1)

Disons tout simplement que le groupe Fang-Beti occupe aujourd’hui les Les provinces du Centre, de l’Est et du Sud. Et c’est dans cette région que la Mission Presbytérienne Américiane s’est implantée. Les principales tribus concernées sont les Bulu, les Ewondo,les Eton, les Bene, les Ntumu, les Mvaé, les Fang, les Foñ avec des incursions chez les Bafia, les Maka et les Basa’a.

Les faits nous présentent une civilisation, une culture commune et des langues apparentées. Compte tenu de cette unité de culture, nous rappelons ici quelques us et coutumes communs à toutes ces tribus.

1.1 La famille

La famille est l’unité principale de toutes ces tribus. Et tout jeune homme se doit de connaître de façon très précise sa généalogie. Ainsi, en connaissant les termes de sa lignée parentale, le jeune homme sait à quels groupements de base il appartient, quelles femmes lui sont interdites et quelles relations il doit entreprendre avec tels individus morts ou vivants. Mais le premier groupement, au sein duquel il se trouve inscrit de manière immédiate, est la famille, groupe patrilocal, assise du village qui rassemble sous l’autorité de l’aîné la descendance de ce dernier, ses cadets et leur descendance.

1) Confère à cet effet :
- Du Chaillu ,1869, Explorations et aventures en Afrique Equatoriale.
- G. Tessmann,1913, Die Pangwe,2 vol, Berlin.
- P. Alexandre et J. Binet, 1958, le groupe dit Pahouin, Paris, PUF.
- I. Dugast. 1949, Inventaire ethnique du Sud-Cameroun, Paris, IFAN.
- H. Baumann et D.Westermann,1948, Peuples et Civilisations de l’Afrique, Paris.








Le plus vaste groupement de cette chaîne est la"tribu" dont l’origine peut être située avec une relative précision et dont l’éparpillement s’est effectué sur la quasi-totalité du Sud-Cameroun. La tribu désigne le groupement le plus anciennement formé remontant à un ancêtre légendaire. Son unité se manifestait par une dénomination, une devise, un tatouage ou d’autres symboles particuliers.

Quant au « clan », il est réservé aux groupements constitués à partir des lignes remontant à un ancêtre réel, lesquels groupements, plus que la tribu, pratiquent une exogamie stricte et incontestable. Les clans, à leur tour ont été éclatés pour constituer des groupements implantés dans une région bien délimitée ayant une même souche : le village, lieu de naissance, lieu d’origine. Mais le village lui-même, dès qu’il atteint un volume moyen, comprend un certain nombre de lignages mineurs représentant la descendance des groupes des frères réels et demi-frères qui constituent la cellule initiale.

Ainsi, par l’intermédiaire de son père et de sa mère, l’individu se trouve inscrit dans deux groupements de parenté, paternel et maternel. Généralement, c’est au sein du premier que se déroule le cours de son existence alors qu’il n’entretient avec les parents du second que des relations circonstancielles. (1)

Le mariage joue, en effet, un rôle capital dans le jeu des relations. Un jeune homme d’une tribu épousera des femmes pour se procurer des alliances dans les autres tribus et acquérir ainsi plus d’influence. Le mariage vise donc un double objectif social : augmentation du prestige personnel et de la puissance du groupement familial. C’est le point de départ d’une nouvelle descendance. (2)

1.2. L’organisation politique et judiciaire

Politiquement, deux aspects caractérisent la société traditionnelle du Sud-Cameroun : le manque d’une organisation hiérarchique et l’existence des prééminences. En effet, la hiérarchie dans la société est basée soit sur la filiation, soit sur la supériorité intellectuelle et morale. En effet, le chef, dans la société, est celui dont la communauté attend les plus éminents services. C’est celui qui fait l’unanimité de sagesse dans l’opinion. Mais il
convient de noter que la prééminence est aussi basée sur la filiation. L’aîné est généralement l’héritier, le chef de famille. Toutefois, la séniorité est souvent limitée et menacée par le principe qui veut que le «plus capable » soit le plus influent.

1) G. Balandier, 1971, Sociologie actuelle de l’Afrique noire : dynamique sociale en Afrique centrale, Paris, PUF.
2) L. Mba. « Essai de droit coutumieb pahouin » in : Bulletin de la société de recherches congolaises, 25, 1935







Dans un tel système social, laissant place aux relations d’opposition, les instances de justice et de conciliation sont appelées à jouer un rôle de premier plan. Ainsi, il existe une organisation judiciaire recourant à des « arbitres », à un « jury ». On note ainsi l’existence d’un tribunal de famille au niveau du lignage mineur qui manifeste l’aîné en tant que conciliateur, assisté par un ou deux membres du groupement et qui ne connaît que les affaires proprement internes.

Ensuite vient le « tribunal de lignage majeur » qui intervient à propos des conflits opposant deux ou plusieurs familles. C’est une juridiction d’appel. Enfin, l’on note l’existence d’un « tribunal de clan » constitué de manière semblable au niveau des groupements plus larges. Bref ! il s’agit moins de fonctions judiciaires permanentes que de principes permettant d’assurer le règlement des infractions et des conflits autrement que par la violence (1)

1.3. Associations et sociétés secrètes

Avant les européens, le principal facteur de cohésion sociale au Sud Cameroun était constitué par les grandes confréries ou sociétés initiatiques dont les principales étaient le « Sô », le « Ngi » pour les hommes et le « Mëvungü » pour les femmes.

L’initiation au « Mëvungü » avait pour but de créer un lien entre toutes les femmes mariées d’un village qui, en raison des règles d’exogamie classique, appartenaient obligatoirement à une tribu différente de celle de leur mari. L’administration coloniale, sous la pression des missionnaires, a interdit ce rite initiatique sous prétexte qu’il était obscène. (2)

Le « Sô » qui tient son nom d’une antilope, le Cephalophus dorsalis, et dont la consommation était interdite aux non-initiés, était centré sur la chasse et la consommation symbolique de cette antilope. C’était un rite d’initiation virile, marquant obligatoirement l’intégration de l’impétrant dans le groupe. Il avait la particularité de rassembler plusieurs villages sur
une base géographique, plutôt que clanique, créant entre les initiés, un lien de solidarité et de fraternité. Il jouait un rôle d’égalisation des conditions matérielles et d’équilibre social. Il a disparu après la 2ème guerre mondiale. (3)
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1) G. Balandier. 1971, Sociologie actuelle…
2) H. Ngoa, "les rites féminins chez les Béti du Sud-Cameroun." in Civilisation de la femme africaine . 1975, ed. par la Société Africaine de culture. Colloque d’Abidjan, juillet 1972, Paris, présence africaine, pp 242-255.
3) « le Sô béti selon Hubert Onana » propos recueillis, transcrits et traduits par Philippe Laburthe-Tolra, Jacques Owona et Félicien Ngongo. In Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université de Yaoundé I, 1969.








Le « Ngi » a disparu plus tôt, très attaqué par l’administration coloniale en raison de son caractère politique ou plutôt policier et judiciaire qui le faisait apparaître comme criminel, dans la mesure où il procédait fréquemment à l’exécution des sorciers. Les adeptes du « Ngi » étaient beaucoup moins nombreux que ceux des autres rites, car l’initiation, bien loin de présenter un caractère obligatoire était extrêmement coûteuse, dangereuse et ouverte seulement à des individus ayant déjà fait leurs preuves. Le « Ngi » constituait à la fois une sorte de police tribale et une compagnie de francs-juges dont une des principales attributions était la lutte contre les sorciers et l’arbitrage des querelles entre clans; les gens qui refusaient cet arbitrage étant punis de mort (1)

1.4. La religion

Chez les populations du Sud-Cameroun, la religion est indissociable du reste de la vie. Le culte des ancêtres, les associations et sociétés secrètes sont donc considérés comme des croyances et pratiques para-religieuses. Car, si l’individu du Sud Cameroun croit en un Dieu créateur et tout puissant, il n’en demeure pas moins vrai qu’il voue aussi une foi inébranlable aux pratiques ancestrales.

En effet, les populations du Sud-Cameroun croient en l’existence d’un être créateur, mais ne lui vouent aucun culte. On l’appelle Zambe, Zam, Nyambe ou Zome, ce qui littéralement voudrait dire « qui était là » et qui constituerait une forme imagée de l’indétermination des origines de ce créateur.

Aussi, les relations entre ces populations et Dieu sont-elles très limitées . Les prières n’existent pas ; toutefois, ils croient aux esprits. Pour elles, l’âme ne meurt pas complètement.

La religion imprègne toute la vie des individus : vie familiale, vie socio-politique. Elle a une fonction psychologique et sociale d’intégration et d’équilibre ; elle permet aux personnes de se comprendre, de se valoriser, de s’intégrer, de supporter leur condition. C’est donc une religion anthropocentrique, c’est-à-dire, basée essentiellement sur la condition humaine. Mais il n’empêche qu’elle atteigne son sommet en Dieu, source de vie, père et créateur de tout ce qui existe. (2)

Cette vie traditionnelle, cette « inconnue noire » a-t-elle été bien comprise par les missionnaires américains au moment où ils se lancèrent dans la conquête des âmes noires ? Une telle question nous amène à soulever les problèmes relatifs à la sociologie et à l’histoire missiologique de la Mission Presbytérienne Américaine (MPA).

1) Le Leroux : « Etude sur le Ngil : Confrérie Fan", in Bulletin de la Société
de recherches congolaises, 6, 1925
2) Tradition et modernisme en Afrique Noire , Rencontres internationales de Bouaké, 1953, Paris, Seuil, p.35





II- QUI ETAIENT CES MISSIONNAIRES AMERICAINS ET QUELS ETAIENT LEURS PRINCIPES ET PRATIQUES MISSIOLOGIQUES ?

2.1 Le presbytérianisme américain en Afrique et au Cameroun

Dès 1802, l'assemblée générale de l'église presbytérienne américaine émit l'idée de créer une commission en vue d'une extension vers l'Ouest. En 1810, cette idée fut matérialisée avec la création de l' "American Board of Commissionners for foreign missions et en 1826 de l'American Home missionary Society". L'activité missionaire, à cette époque, n'était limitée qu'à l'intéreur des colonies américaines (1)
C'est à partir de 1831, avec la création de la "Western foreign missionary society", que le mouvement missionnaire en dehors de l'Amérique connut une certaine extension. En 1837, la tendance de ce qui allait devenir l'Eglise presbytérienne des USA (2), voulant avoir ses propres missions, créa la "Board of foreign Missions of the Presbyterian Church in the USA" avec pour mission d'"établir et de conduire des missions chretiennes parmi les nations païennes ou non évangélisées et de diffuser le christianisme". (3)

C'est ainsi que des missions furent créées, tour à tour, à Mexico (1854), Brésil (1868), Japon (1885), Corée (1892), Cuba (1899), de même qu'en Chine, Inde, Syrie ;mais l'Afrique semble avoir connu ce mouvement bien avant tous ces pays.

En effet, lorsque les premiers colons américains commencèrent à developper les plantations le long des Etats du Sud et dce qui est aujourd'hui la Virginie, ils eurent besoin d'une main- d'œuvre bon marché. Les esclavagistes saisirent l'occasion et commencèrent à acheter les Noirs d'Afrique pour les revendre dans les colonies du Nouveau monde. Le travail fut si rentable et le taux de naissances si élevé que, quand les presbytériens créèrent la "Western foreign Missionary Society" à Pittsburg en 1831, il y avait une population considérable d'esclaves dans le pays. Or ,ces Noirs étaient les seules populations non christianisées avec qui les américains entrèrent en premier lieu en contact. Il semblait donc naturel que le premier champ étranger de mission de l'église fût la terre d'où ils avaient été arrachés.

" La société américaine de colonisation", créée à cet effet était chargée d'aider donc les Noirs à retourner et à s'établir dans leur pays d'origine. L'Assemblée générale de l'église de Pittsburg encouragea cette idée et recommanda à ses membres de procéder à des quêtes en vue de soutenir le retour et l'installation des Noirs affranchis en Afrique (1) La création de la République du Libéria en fut une application concrète.

C'est ainsi que dès janvier 1833, sous les auspices de J.B. Pinney, ancien étudiant au séminaire théologique de Princeton, la première mission fut créée à Monrovia au Liberia.A partir de ce dernier, on lança des expéditions vers le Sud. L'île de Corisco fut atteinte en 1850. Et de l'île, des expéditions furent lancées vers la côte. C'est ainsi que Benito (en Guinée espagnole) fut créée en 1865.

Et bien avant cela, la station de Baraka, près du poste français de Libreville, avait été créée en 1842 et en 1871, les deux champs de missions(Corisco et Gabon) furent délégués à la "Board of foreign Missions of the presbyterian Church in the USA" à la suite de l'union des deux écoles et reçurent les noms de Missions de Consco et du Gabon . En 1881, une station fut ouverte à Angom, en 1870 à Kangwé, futur Lambarane, en 1882 à Talaguga. Entre temps, le Gabon était devenu protectorat français(1850). Aussi, le gouvernement français commença-t-il à montrer des réticences envers l'usage d'autres langues que le français dans les écoles du Gabon. En 1887, les presbytériens américains abandonnèrent leur œuvre du Gabon à la Société des Missions Evangéliques de Paris (SMEP) (2) pour se consacrer à une autre région qui les interessait dejà, le Kamerun allemand.

Mais bien avant que le Kameroun ne devînt protectorat allemand en 1884, des indigènes de cette région avaient fréquenté les écoles de Consco depuis 1875 et une église avait été organisée à Batanga en 1879 sur la côte.

Toutefois, c'est à Adolphus Clemens Good, arrivé en Afrique en 1882 et ayant travaillé au Gabon, que la "Board of foreign missions…" confia la charge d'explorer la région du Sud-Cameroun. Il y fit trois tournées dont deux en 1892, au cours desquelles il choisit l'emplacement de la future station d'Efulan (Nkonemekak). Mais il fallut s'entendre d'abord avec le gouvernement allemand .Aussi, des démarches entamées en 1888 aboutirent-elles le 5 avril 1889 avec la signature par le gouverneur Von Soden de l'Acte autorisant la mission presbytérienne américaine à s'installer au Cameroun sous reserve du respect de certaines conditions:
- usage des langues locales ou de l'allemand dans ses rapports avec les indigènes;
- nomination des missionnaires blancs connaissant l'allemand partout où les missions seront créées;
- non immixion dans les affaires des autres confessions réligieuses. (3)

En 1890, les presbytériens américains commencèrent leur œuvre avec l'approbation du gouvernement allemand. La première station fut créée à Efoulan en septembre 1893.A.C. Good(ngoto zambe) mourut malheureusement l'annéee suivante (13 décembre 1894) de retour d'un long voyage à l'intérieur du pays Bulu. Mais le grain mort ne tarda pas à germer: C’est ainsi que les stations ci-après furent successivement créées :
-1895: station d'Ebolowa,
-1897: station de Lolodorf (Bibia),
-1909: station de Metet,
-1916: station de Fulassi
-1920: station de Sackbayeme,
-1922: station de Yaoundé,
-1924: station de Bafia,
-1929: station de Nko-mvolan,
-1930: station de Ilanga,
-1940: station de Batouri,
-1946: station de Ibong,
-1947: station de Libamba.

Au moment de l'indépendance de la mission en 1957, le Cameroun comptait trois Synodes: (Bassa, Est, Munikam) et- 11 presbytères, 91 pasteurs et près de 966 catéchistes (1)

2.2- Principes missiologiques

Face à « l’inconnue noire », la première réaction des missionnaires américains fut la même que celle de tous les occidentaux dans leurs premiers contacts avec les Africains. Ils les considérèrent comme des gens sans religion, n’ayant pas dépassé le stade de la sorcellerie et du talisman. Ils se fixèrent pour objectif de convertir ces pauvres paiens et animistes au christianisme

Le but de la MPA fut donc de prêcher l’évangile non seulement en vue de sauver les âmes, mais aussi et surtout d’établir des églises indigènes locales. Mais que signifie établir les églises indigènes pour la MPA ? Elle répond que ce sont des églises qui subviennent à leurs dépenses (Self-Supporting), qui sont autonomes (Self-governing) et qui se propagent d’elles-mêmes (Self-propagating). Mais des trois critères, c’est le dernier, c’est-à-dire la prédication de l’évangile par les fils du terroir à leurs frères, qui est le plus important. Car, il est le signe de la vie. La mission doit donc œuvrer à former des disciples dans toutes les nations de la terre en vue de cette finalité. Toute la vie de la mission doit par conséquent être une agence de propagande. (2)

Mais une question demeure car, ces églises indigènes, une fois établies, deviennent des organisations bien définies avec une juridiction précise. Quelles relations les missionnaires devraient-ils avoir avec elles et vice-versa ? La MPA répond que les missionnaires doivent avoir des relations doubles : être à la fois les représentants de leur église mère et les membres actifs des conseils des églises indigènes. En somme, la mission se doit d’être une partie de l’église universelle.

Tels sont les principes missiologiques de la MPA. Mais quelles applications en ferait-elle sur le terrain ? Pour mener à bonne fin leur travail, les missionnaires américains ont adopté quatre méthodes principales de travail : l’évangélisme, l’éducation, la médecine et la littérature (3)

1)Minutes de l'Assemblée de l'église presbytérienne camerounaise 11-18 décembre 19572) Tradition et modernisme… 1953 ,P. 353) S. Efoua Mbozo'o , La mission presbytérienne américaine et les mutations socio-religieuses chez les peuples du Sud-Cameroun (1919-1939),1981, thèse de Doctorat 3é cycle université Jean Moulin- LYON III.



L’évangélisme consiste à prêcher et à enseigner l’évangile, c’est une « explication véritable du message de salut ». C’est la méthode par excellence par laquelle le missionnaire prend son bâton de pèlerin pour aller prêcher dans les églises, les chapelles, les salles de classe, les maisons, la rue, dans les bateaux, dans les trains, en foule ou en famille
Quant à l’éducation, elle est un des moyens d’action le plus efficace qui soit à la disposition des missionnaires pour la conversion des païens. Elle permet de prendre contact avec les populations à évangéliser et en particulier avec les jeunes générations plus disponibles parce que moins attachées aux habitudes et coutumes de leurs parents. Pour ce faire, la MPA a défini une politique d’éducation basée sur trois catégories d’écoles : les écoles primaires ou élémentaires, les écoles secondaires ou académiques, les écoles professionnelles (théologiques, pédagogique, médicale et industrielle).
La médecine constitue également une méthode d’évangélisation pour garantir l’amitié des peuples à convertir, abolir les préjugés, contribuer à l’enseignement de Jésus et à sa révélation en tant que sauveur et seigneur, source de toute vie et de toute espérance.
Quant au travail littéraire, il consiste d’abord à étudier les langues indigènes, à les structurer et à publier grammaire et dictionnaires. Enfin, les traductions de la Bible et autres livres d’évangile sont faites afin que les chrétiens s’habituent à la parole de l’évangile dans leur propre langue.
Toute l’œuvre missionnaire américaine consiste donc à appliquer ces principes, à savoir : fonder et développer au Cameroun une œuvre chrétienne dont les dépenses seraient couvertes par elle-même, qui se propagerait d’elle-même et dont les membres ne seraient ni des parasites, ni des mendiants, mais des hommes ayant appris à se respecter et à avoir confiance en eux-mêmes. (1)

2.3- Application des principes

Dans son œuvre scolaire, la mission a commencé par instruire les enfants dans leur propre langue, avant de leur enseigner une langue étrangère. A ceux qui le désiraient, la mission a dispensé un enseignement professionnel sur les domaines suivants à Elat (Frank James Industrial School) : Couture, charpenterie, maçonnerie, mécanique, cordonnerie, tannerie, etc… Pour former les futurs instituteurs, l’Ecole Normale de Foulassi a été ouverte en 1926.

1) S., Efoua Mbozoo,I981,La Mission Presbytérienne Américaine…












Quant à l’œuvre médicale, la méthode a consisté à placer un médecin sur celles des stations qui n’étaient pas à proximité d’un poste médical officiel où l’on pouvait trouver les soins médicaux nécessaires auprès du médecin de l’administration. Les médicaments étaient cédés au prix coûtant et rien n’était demandé pour les soins médicaux.
Pour les besoins de l’ouvre littéraire, une imprimerie fut créée à Elat en 1922 (Halsey Memorial Press). Son importance fut tant et si grande qu’en 1930 cette imprimerie faisait des publications en 7 langues et fabriquait plus de 4 000 000 (quatre millions) pages de tracts et de magazines. C’est elle qui imprimait le journal Mefoe, périodique mensuel écrit en 2 langues, avec un tirage de 5.000 (cinq mille) exemplaires, de même que le périodique Drumcall, publication trimestrielle en Anglais destinée aux amis de la mission vivant aux USA, et le journal Menan, équivalent de Mefoe en Basa’a. Beaucoup d’autres publications seront faites à partir de cette imprimerie dont :
« The Birds of French Cameroun » de Albert Good, fils du pionnier, Nnanga kôn, de Njemba Medou, en bulu et Dulu bon ba Afri kara de Ondua Engutu ». Pour accomplir toute cette oeuvre, une collecte absolument volontaire est faite
mensuellement parmi les membres et chaque centime reçu retourne à l’œuvre, un vote des membres décide de son emploi.
En somme, ce qui frappe au premier contact avec la MPA au Sud-Cameroun, c’est qu’elle est profondément américaine, c’est-à-dire qu’elle est riche. A Ebolowa, son hôpital est le mieux monté du Cameroun ; à côté se trouvent divers ateliers dont une imprimerie et l’école Frank James. Par ailleurs, la mission dispose de nombreux catéchistes qui sillonnent les villages. C’est que la MPA, fidèle à ses principes missiologiques, ne dédaigne ni le confort ni l’art dont les indigènes recevront bientôt la leçon. Enfin, la MPA attache une extrême importance, à côté du spirituel, au social. Si le royaume de Dieu n’est pas de ce monde, il peut du moins contribuer à le civiliser. Comme la mission guérit, elle enseigne et ses écoles sont considérées comme les meilleures par le gouvernement français.
Mais cette mission est aussi presbytérienne, c’est-à-dire n’a pas d’évêque. Un centre de l’autre côté de l’océan ; sur place, une organisation démocratique. Aucune station n’est subordonnée à une autre. Le Comité directeur est presque entièrement élu chaque année par l’assemblée des blancs, des pasteurs et auxiliaires indigènes. Par-là, on s’assure que la hiérarchie est l’émanation des fidèles et on lui ôte le mordant d’une église centralisée.

Mais en pratique, toutes les stations devinrent bientôt des îlots de civilisation occidentale, effectuant des changements dans chaque aspect de la vie des populations : éducation, communication, médecine, économie, agriculture et religion. La vie de ces populationss fut complètement transformée.


III- MUTATIONS SOCIALES ET RELIGIEUSES


La conquête de l’Afrique a entraîné un assaut contre les cultures et sociétés traditionnelles africaines. Les missionnaires américains devinrent ainsi, peut être inconsciemment, une partie de l’avant-garde des forces aliénantes de l’Occident.

« Un prêche missionnaire est une attaque inoffensive, il semble d’abord séduire, conseiller, puis traiter avec dédain, troubler voire terrifier. Mais il finit par se greffer sur votre cœur, par y laisser fructifier une force aliénante et des aspects auxquels vous ne vous attendriez pas et par avoir des conséquences jamais souhaitées ». (1)

L’œuvre de la MPA eut des conséquences sur toute la vie des populations du Sud Cameroun, donnant ainsi naissance à une nouvelle société avec des valeurs autres que celles que ces populations avaient connues jusque-là.

3.1- Mutations religieuses

Sur le plan religieux , l’ensemble de l’univers religieux des populations du Sud-Cameroun entra dans une phase de mutation dont on pouvait penser,à plus ou moins long terme, qu’elle contraindrait celles-cis à vivre dans un monde radicalement nouveau pour lequel la sagesse ancestrale ne saurait être invoquée.

On est parfois surpris,en effet, par le nombre impressionnant de catéchismes qui fleurissaient au début du 20e siècle et que les Africains, jeunes et vieux, apprenaient comme les enfants européens. On y trouvait un enseignement fort structuré sur la nature de Dieu, sur la création du monde et de l’homme, sur les devoirs de ce dernier à l’égard de son créateur, sur les récompenses et châtiments qui l’accompagneraient, selon qu’il se serait bien ou mal conduit. On y parlait aussi des anges, ces êtres surnaturels que Dieu a créés à mi-chemin entre lui et les hommes, et des saints qui surent, de leur vivant, respecter la loi de Dieu et qui sont aujourd’hui leurs intercesseurs entre lui et eux.

Que le missionnaire américain eût franchi mers et océans pour enseigner cela à l’homme africain, voilà qui ne laisse pas de suspendre. Car, à bien y regarder, le paysan bulu savait à peu près tout cela : Dieu, l’homme, les esprits, les ancêtres, le bien et le mal, le bonheur. Rien d’essentiel n’y manquait.

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1) George Santayana ,1951, Dominations and powers : réflexions on liberty, society and government, New York,P.203.








Il semble donc que les missionnaires américains entrèrent dans un système où l’évangélisation qu’ils voulaient servir se ramena largement à une simple substitution de termes. Car, en Afrique en général et au Sud Cameroun en particulier, on trouvait partout une religiosité fondamentale, elle-même largement solidaire du type de société au sein de laquelle elle était vécue. Or, à bien des égards, le paysan du Sud Cameroun n’apprend rien d’autre de ce qu’il a toujours su. Mais l’ambiguïté ne se trouve pas seulement au niveau du message, elle se situe dans l’espérance qu’il fait naître.

Sans doute, le missionnaire americain prêcha-t-il la récompense éternelle, un au-delà où se trouveraient exaucer tous les désirs du cœur de l’homme, où les bons seraient récompensés et les méchants éternellement punis. Mais quelle chance avait-il d’être entendu et véritablement compris.

Comment des hommes dont l’incertitude est quotidienne, qui ne sont jamais sûrs ni des semailles, ni des récoltes, dont le souci est de survivre sur une terre qui est la leur, seraient-ils accessibles à une parole qui leur promet pour l’au-delà une prospérité qu’ils appellent de tous leurs vœux ?

Que le missionnaire américain n’ait toujours pas perçu la nature exacte de la demande qui lui était faite, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Car, qu’il veuille ou non, il appartenait à un autre monde et la pauvreté de sa condition n’y pouvait rien changer. Qu’à l’inverse, le paysan ne puisse entendre un autre langage que celui lui promettant, dans son indulgence, la prospérité, dans sa faim, l’abondance, cela se comprend trop bien. (1)

Il est un autre domaine où l’action missionnaire américaine fut malheureuse, faute d’une estimation correcte des données en présence. Ce domaine est celui de la foi. On a dit de la « croyance animiste » qu’elle n’était pas une foi au sens biblique, que la foi était individualisante. Or, en Afrique en général et au Sud-Cameroun en particulier, l’expérience religieuse n’est supportable que dans le cadre de la communauté et en référence à elle. En dehors d’elle et sans la sécurité fondamentale qu’elle apporte, elle est source d’angoisse. Cette dimension sociale africaine de la foi a souvent été méconnue. L’homme africain se dissocie mal de la communauté à laquelle elle appartient. Elle est son milieu de vie et sa référence fondamentale. On comprend dès lors pourquoi beaucoup d’africains sont entrés dans le monde de la foi avec le sentiment de vivre un exode, voire un exil qui les retranchait définitivement de leur peuple (2).
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1) Société Africaine de Culture (ed),1972, Les religions africaines comme sources de valeurs de civilisation. Colloque de Cotonou :
16-22 août 1970, Paris présence Africaine, PP 250-251.
2) ibid







Il est dès lors compréhensible que nombre d’eux, radicalement étrangers au monde qu’ils venaient de découvrir, retrouvent spontanément le chemin de la maison du guérisseur ou du devin, incapables qu’ils étaient de porter seuls les interrogations de la vie quotidienne et ne trouvant rien dans leur nouvelle existence qui fût susceptible d’y apporter réponse. Que le sentiment religieux de l ‘africain soit entré dans une phase de mutation profonde, c’est une chose. Qu’ils doivent s’y dissoudre totalement, comme un âge révolu, une page tournée que nul ne lira plus, c’est une autre affaire. Car les messianismes, les sectes et autres religions pentecôtistes constituent aujourd’hui peut – être la meilleure preuve de survivance des croyances ancestrales en ce sens qu’ils apparaissent comme une réaction à l’encontre de l’action missionnaire qui fut contraignante et incompatible avec certaines caractéristiques de l’organisation sociale.

Qu’on le veuille ou non, le christianisme en Afrique et au Cameroun fut la « religion des blancs ». Et il n’est pas sûr qu’il ait cessé de l’être. Comme pouvait-il en être autrement, pénétrés que ces missionnaires étaient de l’importance de leur rôle et de la haute culture qu’ils pensaient représenter ? Comment auraient-ils fait confiance à l’initiative créatrice des communautés auxquelles il fallait tout apprendre ?

Toujours est-il qu’aujourd’hui, alors que l’église camerounaise a cessé d’être un territoire de mission, la situation reste largement hypothéquée. Les nombreux soubresauts que l’Eglise presbytérienne camerounaise (EPC) connaît depuis quelques années le démontrent. Mais tout n’est pas perdu. Les Pasteurs Camerounais eux-mêmes sont les premiers à en être conscients. Aussi voit-on un peu partout s’élaborer de nouveaux types de ministère auxquels les communautés coopèrent étroitement. Ailleurs, c’est l’enseignement catéchétique qui se renouvelle. Un peu partout, s’élabore un mouvement de recherche qui s’interroge sur l’identité profonde du donné culturel africain.

Ainsi, avec des fortunes diverses, mais protégées par un élan qui ne cesse de grandir, une nouvelle Pentecôte africaine prend corps. C’est le temps des semences et de la germination silencieuse. Il porte la promesse d’un nouveau visage du christianisme en Afrique. Combien de temps faudra – t –il à cet enfantement ? Qui peut le dire ?

3.2- Mutations sociales

L’idéal séculier de promotion économique et sociale adopté par la MPA a également apporté des modifications profondes dans les milieux éducatifs traditionnels : La famille est devenue restreinte et s’est défonctionnalisée, l’autorité du père s’est trouvée amenuisée, alors que la mère et l’instituteur ont gagné de l’importance.

Les sociétés initiatiques et les classes d’âge ont perdu de vitesse, voire disparu, tandis que sont apparus de nouveaux milieux éducatifs tels que les écoles, les groupes de substitution ou de défense (Associations de jeunes, maisons de culture), les groupes de pressions (partis politiques et syndicats), sans négliger la place des médias et des loisirs.

La jeunesse a pris une place de plus en plus importante dans ce nouveau monde. Grâce à l’école, les jeunes deviennent sinon les détenteurs de la vérité, du moins ceux qui savent le plus de choses et qui sont au courant des techniques les plus efficaces. Les liens de dépendance qui les rattachaient aux vieux, à l’aîné ne sont plus que sentimentaux, quand ils ne sont pas violemment contestés.

L’école a donc introduit, par rapport à la tradition, trois ruptures fondamentales :
Au niveau de contenu et de la méthode: avec l’école, seule la formation intellectuelle est en cause, ce qui était impensable dans l’éducation coutumière;, l’esprit critique a désormais sa place, tandis que la valorisation de la mémoire disparaît progressivement. Enfin, ce que l’instituteur enseigne veut avoir valeur universelle, donc supra-ethnique.

Au niveau de la fréquentation ensuite : Comme pour les rites initiatiques, l’école va renforcer l’emprise de la classe d’âge, bien qu’elle reste inaccessible à de nombreux enfants.

Au niveau des résultats enfin : l’école traditionnelle ne produisait pratiquement aucun déchet et tous les initiés franchissaient le cap des difficiles épreuves, obtenant ainsi leur statut d’hommes ou de femmes à part entière. Rien de tel aujourd’hui. Non seulement il y a des laissé-pour-compte qui ne vont jamais à l’école, il y a des pertes d’effectifs, mais encore le pourcentage de reçus reste très faible et parmi les heureux élus, bien peu trouvent un emploi rémunérateur à la mesure de leurs prétentions sinon de leur valeur réelle.

Source d’inégalités croissantes, fondamentalement inadaptée parce que trop calquée sur le modèle européen, donc sans liens cohérents avec les exigences et les possibilités de l’Afrique, l’éducation implique nécessairement une rupture. Hier, le savoir était fini, cohérent, définitif, concret, total, même s’il était distribué selon les paliers initiatiques. Aujourd’hui, le savoir apparaît sans limite, jamais définitif, général et abstrait dans la mesure où il ne concerne plus l’ethnie, découpé en programmes, parcellisé en matières, appris selon les paliers (successions de classes et de cycles) (1).

1) L.V., Thomas et R. Luneau ,1975, La terre Africaine et ses religions, Paris, Larousse.













Hier, l’éducation privilégiait la mémoire en tant qu'expression et conservation du savoir, et ceci au détriment de l’esprit critique, aucune contestation possible, seul l’esprit de discernement avait droit de cité ; aujourd’hui l’esprit critique ou du moins d’initiative est encouragé : l’enfant est incité à poser des questions, à intervenir en classe, à participer activement.

Hier, la parole était le véhicule unique d’expression et de transmission du savoir, aujourd’hui l’écriture a détrôné l’oralité. Le savoir se concentre dans les livres et les mémoires d’ordinateur.

Hier, le savoir garanti par le mythe et le prestige de vieux présentait toujours un caractère sacré, mystérieux, transcendant ; aujourd’hui la garantie des mythes a disparu, quant au maître qui peut être jeune, il entre en concurrence par sa science qu’il enseigne.

Hier, l’éducation visait à maintenir l’ordre social singulièrement au bénéfice des vieux ; aujourd’hui, elle vise à changer la société et à introduire des valeurs de civilisation occidentale au profit des classes dominantes.

Hier, l’éducation était communautarisante dans ses moyens, ses méthodes et ses fins ; aujourd’hui, elle sépare l’individu du groupe, introduit concurrence et compétition, valorise les qualités individealisantes (notes, classement) et aboutit au prestige d’une élite.

Hier, elle affirmait le primat des valeurs morales et s’orientait vers le savoir-être ; aujourd’hui, privilégiant la technique, elle ne connaît guère que le savoir-faire.

Qu’on nous comprenne bien. Il ne s’agit pas ici de renouveler la querelle périmée des anciens et des modernes, de vanter sans réticence l’éducation traditionnelle ; celle-ci, malgré ses éminentes qualités, presentait des insuffisances, notamment son ethnocentrisme peu compatible avec la situation actuelle et les exigences du développement. De même, il ne saurait être question de minimiser les avantages de l’école : celle-ci, en favorisant le « Melting-Pot » où se côtoient les enfants d’ethnies, de castes, de classes différentes, développe, du moins par ce biais, le sentiment de l’égalité. En prouvant la précarité et la relativité des normes traditionnelles, elle contribue à la saisie des valeurs universelles, et aide relativement à la prise de conscience de l’unité nationale. En généralisant le pouvoir livresque et l’esprit critique, elle met un terme à la « violence symbolique » dont usaient les vieux pour maintenir leur pouvoir gérontocratique. (1)

1) L.V., Thomas et R. Luneau,1975,La terre africaine….








Toutefois, dans l’état actuel des choses, force est d’admettre que l’école, destructrice efficace des valeurs traditionnelles et singulièrement des valeurs religieuses, reste encore inadaptée, incapable de construire une société originale, spécifiquement négro-Africaine. L’Afrique n’a pas pu trouver jusque là le système éducatif qu’elle mérite : grande est sur ce point la responsabilité des ex-puissances coloniales et des missionnaires.

Sur le plan économique, l’organisation du Sud-Cameroun a connu une transformation totale. Certes, beaucoup de ses habitants continuent de pratiquer les méthodes traditionnelles d’agriculture de subsistance. Mais, ils ont cessé d’être un peuple nomade et ont été progressivement intégrés dans le commerce des produits agricoles et dans le système monétaire basé sur l’économie internationale.

Sur le plan médical, La mutation fut totale mais ô combien difficile.
En effet, les barrières qui séparaient les médecins chrétiens des guérisseurs indigènes étaient trop grandes pour pouvoir faciliter un quelconque dialogue.

Traditionnellement, les populations du Sud-Cameroun associaient le processus de naissance, de maturité, de malheur, de maladie et de mort aux esprits et aux sorciers. La puissante société « Ngi », avec ses prêtres, les « Beyom be Ngi », protégeaient les clans des maléfices, de la malédiction et des malheurs de ceux qui avaient violé les prescriptions réglementant le sexe, la chasse, l’agriculture, la parenté, bref ! chaque aspect de la vie quotidienne.

Les missionnaires américains durent donc prendre leur mal en patience. Ils reçurent dans un premier temps tous les malades sans distinction de religion. Et comme les chiffres des chrétiens croissaient, la mission se retrouva avec beaucoup de malades à soigner. Certes, les pratiques médicales traditionnelles persistèrent, mais il paraît indiscutable que l’influence de la médecine moderne a porté un coup sérieux aux rituels coutumiers de thérapie des populations du Sud-Cameroun.




















CONCLUSION

Au regard de tout ce qui précède, force est de reconnaître la sincérité et l’innocence des buts de l’œuvre de la MPA au Sud-Cameroun. En effet, appliquant à la lettre cette dure loi de la vie qui veut que toute stagnation soit un recul, la MPA a voulu être aux avant-gardes du progrès matériel des populations comme à la tête de la croisade de la moralité. Il a donc accompli une œuvre sociale et économique à l’américaine mais aussi une œuvre religieuse remarquable.

Sur le plan de l’enseignement, la MPA s’est particulièrement attachée à développer ses établissements. La valeur moyenne de l’enseignement dispensé était certes médiocre mais il lui attirait beaucoup de chrétiens.

Sur le plan des œuvres d’assistance, la MPA, a déployé une grande activité : hôpitaux, dispensaires, léproseries, orphelinats. Aucun sectarisme particulier ne présidait aux activités de la mission qui ne cherchait qu’à faire œuvre humaine.

Sur le plan des rapports avec l’administration française, la MPA formée à la tradition reformée de la séparation de l’église et de l’Etat, s’est mêlée peu de la routine administrative et des vétilles quotidiennes de l’administration territoriale.

Concernant l’influence intellectuelle, morale et religieuse de la MPA, celle-ci s’est plus attachée à former l’individu dans son cadre et à lui donner une discipline individuelle qu’à modifier le cadre lui-même pour le transformer en « chrétienté ». Elle a opposé aux transformations de l’individu par le milieu de l’église catholique une tentative de transformation du milieu par les individus.

Résultats : les individus formés par la MPA s’intéressaient moins à la politique du Canton et davantage aux problèmes généraux. Ceci a développé la liberté individuelle du Camerounais et laissé la porte ouverte aux mouvements de nationalisme locaux. Ainsi est né le mouvement de dissidence des populations Ngumba. Celui-ci, sous la conduite du Pasteur Nguiamba Ngalli, s’est détaché de la MPA parce qu’elle refusait de prêcher l’évangile en langue Ngumba.

Ainsi en 1957, date de l’indépendance de la mission camerounaise, le monde socio-réligieux des populations du Sud-Cameroun était désormais engagé dans un processus de changement irréversible. En devenant chrétiens, les peuples du Sud-Cameroun n’avaient pas seulement conscience de changer de religion, ils percevaient aussi qu’ils changeaient de monde. Les solidarités fondamentales n’étaient plus celles de la parenté ou de l’alliance mais celles qui naissaient de la communion à la foi.

Le changement était donc radical au sens propre en ce sens qu’il touchait à la racine même de la situation de l’homme dans le monde. Il était donc normal que ce changement fût vécu et qu’il faille longtemps au nouveau chrétien pour entrer véritablement dans la nouveauté de ce qu’il a choisi de vivre.

La deuxième raison de changement tenait au fait que, en même temps qu’ils découvraient un nouveau monde religieux, les peuples du Sud-Cameroun se voyaient, comme du dehors et contre leur gré, contraints d’entrer dans un univers socio-économique qui excédait infiniment tout ce qu’ils avaient pu connaître jusque là. Et la mutation fut d’autant plus brutale qu’apparemment nul ne semblait se soucier beaucoup de ce qui pouvait leur advenir. Les décisions venaient d’ailleurs, on ne les consultait pas sur ce qu’il convenait de faire.

Ainsi, en l’espace de quelques générations, ces populations se trouvèrent brusquement arrachées à une culture millénaire et contraintes d’apprendre à vivre dans un monde qu’on leur avait imposé et dont les lois semblaient toujours s’exercer à leur détriment.

Face à cette situation, on assista à plusieurs réactions, dont la plus ordinaire, et cela se comprend très bien, fut de tout retenir à la fois : le christianisme, les religions traditionnelles, la sorcellerie,le marabout,la science, etc.…

Un peu à la manière dont la Rome antique accueillait volontiers dans son panthéon les divinités étrangères, une certaine Afrique continue de croire qu’à travers la diversité des expressions religieuses, c’est la même réalité qui se vit, qu’il n’y a pas lieu de porter d’exclusive et qu’en définitive, on a jamais trop d’atouts dans son jeu. Marabouts, devins, guérisseurs, prêtres, prophètes : autant de personnages différents pour un rôle unique, une fonction parfaitement définie que chaque système reprend à sa manière sans en modifier la position structurale et sa signification.

Combien de temps durera encore cette attitude ? Nous sommes enclins à croire qu’elle persistera tant que la famine, la maladie, l’exploitation de l’homme par l’homme, et les misères de toutes sortes menaceront la vie quotidienne des hommes les plus humbles. Dans les cas d’extrême péril, il est d’usage de ne pas s’embarrasser dans le choix des moyens. On prend ce que l’on a sous la main. L’attitude critique et le discernement deviennent plus aisés lorsque le péril menace moins. Face à l’anxiété et la menace, tout est bon, tout est utilisable pour se sortir de peine : le marabout et ses talismans, le missionnaire et ses médailles, le guérisseur et ses herbes. Lorsque viendront les temps meilleurs, on pourra enfin choisir.

















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