lundi 8 février 2010

les femmes de la mission presbytérienne américaine et l'émergence d'une conscience nationaliste au Cameroun:cas de Lucia Cozzens

LES FEMMES DE LA MISSION PRESBYTERIENNE AMERICAINE (MPA) ET LEUR ROLE DANS L’EMERGENCE DE LA CONSCIENCE NATIONALISTE AU SUD-- CAMEROUN :
LE CAS DE LUCIA COZZENS, ALIAS "OKONABENG"
(1919-1949)


Par



Efoua Mbozo'o Samuel
efmbozoo@justice.com
Université de Yaoundé I

Et

Kpwang K. Robert
robert_kpwang@yahoo.fr
Université de Yaoundé I


Résumé
L’implantation du christianisme, commencée au Cameroun dès la fin de la première moitié du XIX ème siècle, a connu un réel succès dans les sociétés de la côte et de la zone forestière. Aussi bien chez les catholiques que chez les protestants, les femmes, bien qu'évoluant à l'ombre de leurs coreligionnaires masculins, furent en contacts permanents avec les populations locales et avec les différentes administrations coloniales.
Dans cet article, il est question de montrer le rôle joué par Mme Cozzens, missionnaire américaine d’origine allemande en service au secrétariat de la MPA à Elat, dans l’éveil de la conscience nationaliste chez les populations fang-beti-bulu du Sud Cameroun, rôle qui a fait d’elle l’une des martyres de la lutte anticoloniale au Cameroun.

Mots clés : MPA, Elat, Bisulan, Efulameyoň, Anticolonialisme, Fang-Beti-Bulu, Cégétistes,
Nationalisme.

Abstract

The introduction of Christianity, which started in Cameroon in the first part of the XIX th Century, witnessed remarkable success within the coastal people and those in the forest zone. Within the Catholics and Protestants as well, women were at the centre of this vast enterprise, evolving under their male co-religionists. They were in permanent contact, not only with the indigenous populations, but also with the German colonial administration up to 1916, followed by the French administration.
This article shows the role played by Mrs Cozzens, an American missionary of German extraction, who worked at the Secretary of MPA at Elat, in the wake of nationalist conscience among the Fang-Beti-Bulu populations of the South Province of Cameroon.

Key words : MPA, Elat, Bisulan, Efulameyoň, Anti colonialism, Fang-Beti-Bulu, Cegetistes,
Nationalism.

Introduction

Dès la fin de la première moitié du XIX ème siècle, le continent africain, dans son ensemble, devint le théâtre de l’expansion occidentale. C’est ainsi que la côte camerounaise et les régions de l’hinterland furent l’objet de la ruée des compagnies commerciales, des missions chrétiennes et, bien sûr, des forces coloniales d’occupation. S’agissant de ces deux dernières, c’est-à-dire les missions chrétiennes et les forces coloniales d’occupation, il est à noter que les premières ont parfois précédé, parfois même accompagné les secondes (Mballa, 1989 : 6). Au début, il était difficile aux indigènes de distinguer le rôle des missionnaires et celui des administrateurs coloniaux. C'est plus tard que les objectifs des uns et des autres ont commencé à se clarifier.
Parmi les missions chrétiennes ayant marqué l’évangélisation au Sud Cameroun, la MPA occupe, avec la mission catholique, une place prépondérante (Ngongo, 1982 : 16). Cette mission protestante relevait de la "Board of Foreign Mission" qui, elle-même, dépendait de la "Presbyterian Church of United State of America (PCUSA)"(Efoua, 1981 : 27-28). C’est en 1889 que la MPA reçut de Von Soden, le gouverneur impérial, l’autorisation de s’installer au Cameroun. Avant, la MPA menait ses activités au Gabon. Mais le gouverneur français de cette colonie n’appréciait pas son action estimée contraire à l’idéologie coloniale de Paris. C’est la raison pour laquelle elle fut chassée de ce territoire et sollicita la venue au Cameroun.
Ainsi, sous l’action du pasteur Bier, la MPA installa sa première mission à Grand-Batanga, village situé au Sud de Kribi. C’est de là que partit en 1892 le Dr Adolphus Clemens Good, surnommé Ngot’a Zambe (le messager de Dieu), pour porter le message évangélique à l’hinterland, précisément chez les Bulu (Slageren, 1969 : 24). En septembre de la même année, il crée la station d’Efulan et fait un voyage de prospection dans d’autres localités pour repérer d’éventuels sites devant abriter les futures stations. Par la suite, la MPA connut une extension remarquable, tant à l’époque allemande qu’à l’époque française1.
Mais, bien que venus au Cameroun pour des raisons évidemment différentes, les missionnaires presbytériens, de même que leurs homologues des autres confessions chrétiennes, entretenaient de bons rapports avec les autorités locales du Reich. Ces deux forces ne manquaient d’ailleurs pas de se rendre mutuellement des services. C’est ainsi que les missionnaires de la MPA répercutaient auprès des indigènes la volonté du "gouvernement"2 et ne manquaient pas de jouer les avocats défenseurs de ces derniers, en plaidant en leur faveur, auprès des autorités. De même, ils servaient d’intermédiaires, voire de négociateurs, lors des conflits entre les autorités et les populations qui n’acceptaient pas encore de se soumettre à l’ordre colonial allemand. Nous pouvons citer le cas du pasteur William Caldwell Johnston, le chef de la station MPA d’Efulan qui, en 1901, permit de mettre fin à la guerre qui opposait Oba’a Mbeti, le chef des insurgés yemeyema’a d’Ebemvok, aux Allemands de Kribi (Akamba, 1979 : 72-74).
Dans l’ensemble, les Américains de la MPA ont joué un rôle identique à celui d’une courroie de transmission dans leur zone d’évangélisation. Ils se chargeaient de transmettre aux autorités locales du Reich les doléances des populations, et à ces dernières, ils faisaient passer d’une manière évangélique les ordres de leurs nouveaux maîtres (Mballa, 1989 : 40). Mais, avec l’éclatement de la première Guerre Mondiale, suivi du départ des Allemands du territoire en 1916, cette période de franche collaboration entre les presbytériens et l'administration prit également fin. Avec les nouvelles autorités françaises, les relations avec les missionnaires américains devinrent complexes (Ngongo, 1982 : 34). Les deux parties amorcèrent une phase de relations de courtoisie, mais empreinte de suspicion mutuelle. Les presbytériens, ouverts à l’époque allemande, se replièrent sur eux-mêmes et certains ne laissèrent plus passer une occasion pour critiquer ouvertement les autorités administratives françaises.
Alors que dans les autres missions chrétiennes évoluant au Cameroun, à l’instar des pallotins catholiques ou encore des baptistes, la première Guerre Mondiale s’accompagna du remplacement total du personnel allemand par le personnel français, chez les presbytériens par contre, les missionnaires américains continuèrent leurs activités sans aucune interruption. Mieux, en 1919, les effectifs de la MPA doublèrent et l’on assista même à un renforcement des missionnaires de sexe féminin.
Plus que dans les autres missions, les femmes furent en première ligne de l'idéal évangélique de la MPA dès son installation en terre camerounaise en 1892 à Grand-Batanga. Les premières femmes de cette mission accompagnaient leurs époux3, mais après 1919, l’on assista à l’arrivée des femmes missionnaires célibataires, volontairement engagées aux Etats-Unis et même en Europe, surtout dans les Etats d’obédience protestante à l’instar de la Suisse. Très actives, ces femmes furent utilisées dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’encadrement des épouses du personnel camerounais (Anonyme, 1954 : 22-26), ainsi que dans ceux de l’édition et même de l’administration des œuvres de la MPA. Véritables chevilles ouvrières, les femmes de la MPA contribuèrent énormément au rayonnement de cette mission protestante. Certaines n’hésitèrent pas à étendre leurs activités au-delà du domaine strictement missionnaire et à critiquer d’une façon à peine voilée la manière dont les autorités françaises s’acquittaient de leur mission4.
Parmi les femmes ayant marqué l’action de la MPA, il y a lieu de citer Mme Cozzens, figure centrale de cet article dont l'objectif est de ressortir le rôle joué par cette missionnaire américaine, d’origine allemande, dans l'émergence d'une conscience nationaliste au sein des populations du Sud Cameroun. Cette étude tourne autour de deux principales articulations. Dans un premier temps, nous présentons l'action multidimensionnelle de Mme Cozzens au sein de la MPA et chez les Bulu. Dans un second temps, nous nous intéressons à la riposte des autorités françaises pour contrer ses activités, perçues comme une menace pour leur présence au Cameroun.


1. Mme Cozzens, une femme aux multiples activités

Mme Cozzens fut incontestablement l’une des figures ayant marqué l’histoire du presbytérianisme américain dans les anciennes régions administratives du N’tem et de Kribi5 en particulier et au Cameroun en général.
De son vrai nom Lucia Hammond, Mme Cozzens était d’origine allemande et avait pour époux Edwin Cozzens, un ingénieur américain (Njemba, 1989 : 4). C’est en 1919 que le couple Cozzens arriva au Cameroun, dans le cadre d’un accord signé aux Etats-Unis entre l’Etat fédéral et la PCUSA. Selon les termes de cet accord, le gouvernement fédéral, alors dirigé par Woodrow Wilson, mettait à la disposition de la MPA, via la PCUSA, certains cadres et techniciens de l’armée américaine démobilisés après la campagne victorieuse de l'Europe qui, de 1917-1918, avait permis de mettre fin à la première Guerre Mondiale6. Comme on peut l’imaginer, cet accord avait un double avantage. D’abord, il a permis au gouvernement américain de caser un certain nombre de ses anciens soldats, dont la réinsertion dans la vie civile aurait peut-être été difficile après la guerre. Ensuite, il a mis à la disposition de la MPA des cadres et des techniciens de haut niveau, au moment où cette mission s'engageait dans une vaste entreprise de construction des stations et de développement des œuvres sociales.
C’est donc dans le cadre de cet accord que les Cozzens arrivèrent au Cameroun. Ils furent affectés à la station d’Elat, alors centre pilote de la MPA au Cameroun7. Ingénieur polyvalent, Edwin Cozzens fut le bâtisseur principal de la plupart des infrastructures de la station d’Elat. L’administration française ne manquait d’ailleurs pas de profiter de ses compétences lors des travaux de construction dans le N’tem. De même, de temps en temps, Edwin Cozzens allait effectuer des travaux de génie civil au Rio Muni, à la demande des autorités espagnoles. C’est dire à quel point cet ingénieur américain était devenu utile, aussi bien pour la MPA que pour les autorités administratives françaises et les autorités espagnoles.
De son côté, Mme Cozzens n'était pas inactive. Femme d'une extraordinaire beauté, son physique presque parfait lui a valu le surnom d'Okonabeng (maladie de la beauté)8 par les Bulu d'Ebolowa sitôt le couple installé à Elat.
Dès leur arrivée, on confia à Mme Cozzens la gestion de la trésorerie d'Elat. Pendant plus d'une décennie, ce fut sa fonction principale au secrétariat de la mission. Tous les problèmes relatifs à la paie des employés, aux entrées et sorties d'argent, reposaient sur sa personnalité. C'est dire à quel point cette dame avait de très lourdes responsabilités. En 1925, parallèlement à la trésorerie, Mme Cozzens commença à organiser les femmes au sein de la MPA. Au niveau de la station, elle créa une école d'apprentissage pour les femmes des collaborateurs camerounais en service à Elat. Dans cette école, elle leur apprenait à lire, coudre, broder, et à tricoter (Ndjemba, 1989 : 4). En plus, elle leur dispensait des enseignements ménagers centrés sur le bon entretien du foyer et le comportement d'une "femme chrétienne". Au niveau de la MPA en général, Mme Cozzens était aussi très entreprenante. C'est ainsi qu'elle organisa dès 1925 l'assemblée féminine, plus connue sous son appellation bulu de Nsamba Binga9. Elle procéda également à la traduction de nombreux cantiques, dont certains furent consignés dans le recueil Bia bi Zambe10.
En 1928, Mme Cozzens quitta la trésorerie pour prendre la direction de toutes les écoles MPA de la région du N'tem. La même année, elle remplaça le pasteur Johnston à la tête du journal Mefoé (les nouvelles), une publication éditée en langue bulu depuis 1910 à Elat (Anonyme, 1954 : 39). Cette prise en main de Mefoé s'accompagna d'une orientation de ses articles dans le sens de l'exaltation du nationalisme. Ainsi, dans le n° 101 du 10 novembre 1932, Mme Cozzens présentait la guerre menée de 1899 à 1901 par Oba'a Mbeti, le chef insurgé des Yemeyema'a11 d'Ebemvok, contre les Allemands de Kribi comme un modèle la libération d'un peuple de l'oppression étrangère (Cozzens, 1932 : 6).
En 1932, Mme Cozzens quitta la direction de Mefoé pour prendre celle du Halsey Memorial Press (HMP), une imprimerie implantée à Elat en 1916 pour la vulgarisation de la littérature chrétienne (Song, 1987 : 231). Avant la prise en charge du HMP par Mme Cozzens, cette maison n'éditait que des ouvrages scolaires, les journaux de la MPA, notamment Drum Call et Mefoé, et bien évidemment la littérature à caractère chrétien. Les ouvrages chrétiens concernaient, entre autres, la Bible, les cantiques intitulés Bia bi Zambe (Chansons de Dieu), les Minfasan (méditation), sorte de guides d'enseignements annuels pour les cultes du matin, les Minutes, c’est-à-dire des rapports d’activités des différentes structures de la MPA12 et enfin les opuscules en français (esquisse) et en langue bulu (Binyiň) relatant la vie des premiers missionnaires presbytériens au Cameroun. Mais après 1932, Mme Cozzens mit un accent particulier pour la promotion d'une littérature culturelle à "toile de fond politique" (Eman, 1996 : 35). C'est ainsi qu'elle réadapta l'œuvre de Mary Holding intitulé Ndé mewut ma kobo (Si les pierres de cuisine pouvaient parler). Ce livre était pour elle une occasion de faire une critique à peine voilée de la situation des Camerounais sous la colonisation française (Cozzens, 1932 : 8-10).
De même, Mme Cozzens mit un point d'honneur à faire émerger une classe d'auteurs locaux. C'est sur son insistance, et sous sa direction, que Jean Louis Ndjemba Medou, un des instituteurs camerounais en service à l'école missionnaire d'Elat, rédigea un roman en langue bulu intitulé Nanga Kon (fantôme blanc)13. Ce roman connut par la suite un réel succès auprès de la population bulu et sur le plan international. C'est ainsi qu'en 1932, Nanga Kon, le tout premier roman écrit par un Camerounais, obtint le Prix Margaret Wrong de l'Institut International Africain de Londres (Alexandre, 1966 : 211).
Mais, c'est sur le plan politique que Mme Cozzens étala son génie d'organisation. Dans la région du Sud Cameroun en général, et chez les Bulu en particulier, elle mena une action certes lente, mais non moins intelligente et efficace, pour faire naître une conscience nationaliste chez ces populations victimes des vicissitudes de l'indigénat. Bien sûr, l'anticolonialisme était l'une des caractéristiques des enseignements de la MPA. De même, de nombreuses femmes de cette mission, à instar de Miss Hunter Mary Elisabeth, une Américaine en service à la station de Djongolo, ne manquaient pas d'étaler leur mépris vis-à-vis de la France et du colonialisme14. Mais Mme Cozzens, de par son action, fut la "figure la plus remarquable dans la participation directe des missionnaires presbytériens à l'éveil du nationalisme camerounais"(Mballa, 1989 : 171). Pendant près de vingt ans, elle mena une action souterraine pour faire émerger dans le Sud Cameroun un vaste mouvement anticolonial ayant les Bulu comme fer de lance.
Dans un premier temps, elle commença par adopter deux jeunes de la subdivision d'Ebolowa, Samuel Mbiam Mgbwa du village Nkoétyé et Daniel Awong Ango de Man-mi-Yéminsem. Ils étaient respectivement Yévo et Yéminsem, les deux clans bulu les plus nombreux du point de vue numérique de la subdivision d'Ebolowa. Après les études primaires à Elat, le premier devint instituteur des écoles MPA alors que le second, plus brillant, alla continuer à l'Ecole Normale de Fulassi (ENF) et plus tard à l'Ecole de Théologie de Bibia (ETB). A la fin de sa formation, Awong Ango fut affecté à Mvangan à la fois comme pasteur et enseignant. Mais, malgré la forte demande de l'époque, il n'exerça pas longtemps le métier d'enseignant. En 1938, il était appelé à Elat auprès de Mme Cozzens comme secrétaire. C'est cet Awong Ango qui, au début des années 40, devint le président élu du clan yeminsem et prit par la suite la tête du mouvement de contestation de l'autorité des chefs supérieurs imposés aux Bulu par les autorités coloniales15.
La fonction de "chef supérieur" était inconnue de la société traditionnelle fang-beti-bulu. Aussi, depuis l'époque allemande, cette dernière s'est-elle souvent opposée à cette nouvelle classe sociale. Mais, ce phénomène a pris de l'ampleur sous la colonisation française à cause des choix fantaisistes de la nouvelle administration et des exactions commises par ces "roitelets nègres" sur les populations16. Déjà, dans les années 20, la subdivision d'Ebolowa fut secouée par la révolte des Yévo contre les "exactions et les escroqueries" du chef Edjoa Mvondo du canton de Nko'ovos. Mais celle-ci fut durement réprimée par le Commissaire Marchand (Abwa, 1998 : 175-177). Dans les années 30, les Yeminsem prirent la relève et parvinrent à étendre la contestation dans toute la région du N'tem et dans les zones de peuplement bulu de la région de Kribi (Kpwang, 1989 : 84-85).
En 1944, l'administration fut contrainte de revoir le fonctionnement des "commandements indigènes" dans ces deux régions. L'inadaptation de la chefferie telle que conçue par l'autorité coloniale était apparue évidente. Même les administrateurs français en service dans la région étaient arrivés à la conclusion qu'il fallait de toute urgence revoir leur organisation. Dans la société traditionnelle, c'est le chef de clan qui était écouté, d’où l'idée de créer cette fonction intermédiaire entre le chef supérieur et le chef de village.
La réforme des chefferies fang-beti-bulu, connue sous le nom de réforme "Bourdier-Garnier" (des noms des administrateurs français qui les avaient menées), n'a concerné que les régions administratives du N'tem et de Kribi (Alexandre & Binet, 1958 : 15). Elle apporta de réels changements dans le fonctionnement des cantons et des groupements du Sud Cameroun en introduisant au sein de chaque clan un chef élu par les éléments masculins. Celui-ci, appelé "président clanique", avait officiellement la mission d’assister le chef supérieur dans la gestion des affaires de son clan (Alexandre & Binet, 1958 : 15). Mais contrairement aux chefs désignés par l'administration, c'est-à-dire les chefs supérieurs (cantons et groupements) et les chefs de villages (ou petits chefs), les présidents claniques ne recevaient aucune rémunération et n’avaient aucun avantage d'ordre matériel. Leur fonction était uniquement d'ordre clanique.
En fait, les autorités françaises n'avaient jamais voulu de cette réforme. Mais elles furent presque contraintes à la faire, juste pour montrer leur bonne volonté à satisfaire les revendications des populations. Il est aussi important de noter que la Conférence de Brazzaville joua en faveur de cette réforme locale des chefferies fang-beti-bulu. Avant ces assises, les autorités françaises étaient insensibles aux plaintes des populations contre les exactions des chefs supérieurs. Mais après Brazzaville, et compte tenu des promesses de changement faites par les chefs de la résistance française, l'administration locale voulut montrer sa bonne foi. C’est ce qui expliquait les concessions faites par les autorités à travers la réforme "Bourdier-Garnier".
Parallèlement, l’administration voulait aussi couper court aux griefs formulés par les missionnaires presbytériens. Ces derniers ne manquaient pas en effet de l’accuser d'abandonner les populations aux forfaitures des chefs supérieurs. Les presbytériens avaient déjà, dans le passé, formuler des menaces de porter les faits à la connaissance des instances de la Société des Nations à Genève17. Mais, conformément à une pratique courante des puissances coloniales en Afrique, l'administration s'arrangea à ce que les présidents claniques élus ne disposent pas de moyens financiers, ni d'avantages matériels quelconques capables de rivaliser les chefs nommés. C'était cependant sans compter avec les réalités d'une société bulu hostile à toute hiérarchie extra familiale et fortement imprégnée des enseignements libéraux inculqués par les missionnaires américains depuis la fin de la première Guerre Mondiale.
Les présidents claniques furent élus en fin 1944 et début 1945. Investis de la légitimité clanique, ils prirent leur fonction très au sérieux. Comme s'ils s'étaient passés le mot, les présidents claniques s'engagèrent dans de nombreuses actions de déstabilisation de l'autorité détenue par des chefs supérieurs. Ils n'eurent pratiquement pas de difficultés à s'imposer, car les chefs supérieurs s'étaient déjà considérablement discrédités auprès des populations à cause des brimades, des escroqueries et des exactions de toutes sortes dont ils s'étaient rendus coupables dans le passé. Pour montrer l'efficacité de leur pouvoir, les présidents claniques s'attachaient à la mise en ordre des villages, réglaient les palabres, œuvraient à l'amélioration des plantations cacaoyères. De façon très habile, ils tentèrent de se faire passer auprès des autorités comme les seuls interlocuteurs valables des masses claniques (Balandier, 1971 : 242). Ce glissement d'autorité ne manqua pas d'inquiéter les administrateurs coloniaux en poste dans le Sud Cameroun. Ainsi, dans une correspondance confidentielle adressée en mars 1946 à Robert Delavignette, le Haut Commissaire de la France au Cameroun, M. André, le chef de la région de Kribi, écrivait :

Ce déplacement de l'autorité est d'une gravité exceptionnelle. Si nos chefs se plaignent de ne plus avoir de l'autorité, c'est parce qu'on la leur prend. Nous cherchons à la leur restaurer, en leur donnant des soldes élevées, un statut. Nos efforts seront vains si nous n'attaquons pas les agitateurs eux-mêmes dans leurs entreprises de noyautage, d'usurpation d'autorité, et souvent de sabotage18.

Il faut noter qu'à l'époque pré coloniale, les Mintôl (aînés), détenteurs des richesses (femmes, enfants, troupeaux, champs, chiens, outils), appelés Minkukum, devaient se faire pardonner leur fortune, essentiellement en la redistribuant par les moyens de l'hospitalité et aussi par un mécanisme particulier de contrôle économique, analogue au potlatch appelé Bilaba (Alexandre & Binet, 1958 : 60). C'est donc dire que la voie choisie par les autorités, et qui consistait à donner davantage de moyens financiers et matériels aux chefs supérieurs, ne contribua qu'à les enfoncer dans leur impopularité. Les Bulu, tribu égalitariste par tradition, n'ont jamais aimé les détenteurs des richesses, sauf si ceux-ci font preuve de partage. Ce qui, évidemment, n'était pas le cas des chefs désignés par l'administration, personnages avides et dont le caractère insatiable en matière de femmes et de biens matériels était à l'image de l'imposture de leur fonction. Avec l'arrivée des missionnaires presbytériens et des colonisateurs, l'école est devenue un critère de respectabilité dans cette société autrefois marquée par l'absence totale d'une autorité extra familiale. Or, après la réforme "Bourdier-Garnier", les personnes élues à la présidence des clans étaient des évolués. Anciens élèves des écoles de la MPA, les présidents claniques, dans leur grande majorité, travaillaient également au sein de cette mission protestante.
C'est ici que Mme Cozzens élabora la seconde phase de sa stratégie à travers Awong Ango, son fils adoptif qui, depuis 1938, exerçait à ses côtés au secrétariat d'Elat. En 1944, Awong Ango fut élu à la présidence des Yeminsem de la subdivision d'Ebolowa. Le clan yeminsem avait des ramifications chez les Fang (Ntoumou et Mvaé) de la subdivision d'Ambam et se prolongeait au-delà du N'tem19, précisément chez les Fang du Woleu N'tem, dans le Nord du Gabon (Balandier, 1971 : 246). Sitôt élu, Awong Ango déploya une intense activité auprès de ses frères claniques. Bien que résidant à Elat, il ne manquait pas de se rendre dans les villages yeminsem, dépassant même les limites subdivisionnaires, pour tenir des réunions. Cette activité aboutit en 1946 à l'organisation de la première assemblée yeminsem (esulan yéminsem) à Man-mi-Yeminsem, le village natal d'Awong Ango situé à 15 kilomètres d'Ebolowa.
Ces assises ont vu la participation de nombreux délégués venus de tous les villages yeminsem de la vaste région administrative du N'tem et ne traita que des affaires strictement claniques. Mais par la suite, ces assises entraînèrent un effet "boomerang" dans de nombreuses localités du Sud Cameroun. Fin tacticien, Awong Ango n’avait pas manqué d’inviter à titre personnel quelques présidents claniques de la subdivision d’Ebolowa. Ce sont ces derniers qui, galvanisés par le succès de cette assemblée, en profitèrent pour organiser des assises similaires au sein de leurs clans respectifs. C’est ainsi qu’on assista à la prolifération des Bisulan aussi bien dans la subdivision d'Ebolowa que dans celle de Kribi.
Il faut noter que le phénomène des Bisulan existait déjà avant l'ingérence de l'administration coloniale. Il s'agissait des assemblées réunissant les Mintôl de chaque clan. Elles se tenaient dans des lieux secrets, à l'abri du regard des femmes et des enfants. C'est pendant les Bisulan que les grandes décisions concernant le clan étaient prises, à l'instar des mariages, des guerres (Obaň) à mener, des restrictions à la double exogamie, des relations avec les autres clans, la codification de la coutume, etc. Avec l'arrivée des Allemands, suivie de la création des villages-rues, les Bisulan ont disparu, ce qui a eu pour conséquence l'accélération de l'acculturation. Le retour de ces assemblées sur la scène en 1946, grâce aux Yeminsem, était sensé freiner la désaffection de la coutume. Mais, c'était peu évident, compte tenu de leur dessous politique.
Dans la subdivision de Sangmelima, seuls les Ndong de la localité de Tatying et les Yekombo de Nkpwang ont réussi à braver l'administration et les chefs de cette administrative. Certains chefs supérieurs bulu de Sangmélima, à l'instar de Medjo m'Azang de Mezesse-Esse et d’André Mfoula Alem de Mezok-Yetyang (Eba : 2004, 46-48), étaient de vrais tyrans qu'aucun évolué n'a eu le courage de défier dans leur unité de commandement respectif. D’ailleurs, dans ces localités, la MPA n'était pas aussi influente que dans le reste de la région du N'tem. Les cantons de ces deux chefs supérieurs étaient sous l'influence des prêtres catholiques, issus majoritairement de la congrégation du Saint-Esprit, missionnaires dont on connaît les liens de complicité avec l'ordre colonial (Goyou : 1937, 18-22).
Avec la renaissance des Bisulan, les chefs supérieurs n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes, la véritable autorité traditionnelle étant désormais entre les mains des présidents claniques.
Une fois de plus, l'on vit Awong Ango œuvrer pour rassembler toutes les Bisulan en une vaste fédération pahouine. Son statut de président clanique yeminsem et ses fonctions à Elat lui furent d'un grand apport car, en ces années là, travailler à la MPA, et surtout au secrétariat d'Elat, donnait lieu à une respectabilité indiscutable dans le Sud Cameroun en général et chez les Bulu en particulier. Awong Ango mettait aussi en exergue ses liens particuliers avec Mme Cozzens pour asseoir son influence et concrétiser le projet de fédérer toutes les Bisulan. Il faut noter que cette femme était très aimée et respectée par ceux qui la connaissaient. Les activités d’Awong Ango, qui recevaient ses invités au secrétariat d’Elat, ne pouvaient se faire qu’avec l’appui de son ancienne tutrice devenue sa supérieure hiérarchique. Le secrétariat de la MPA se transforma en une plaque tournante où défilaient les leaders claniques. Le chef de la subdivision d'Ebolowa, dans un rapport adressé à Yaoundé au directeur des Affaires Politiques et Administratives (APA), ne manqua pas de s'inquiéter de l'action du leader des Yeminsem en alertant ses supérieurs que ce clan "faisait preuve d’un activisme intense" et qu’il "phagocytait" les autres clans20.
En 1947, les efforts d'Awong Ango aboutirent à la tenue d'une grande assemblée extra tribale à Nko'ovos, fief du chef Edjoa Mvondo. Celle-ci vit la participation non seulement des représentants de 24 clans bulu de la région du N'tem, mais aussi des délégués des tribus bane, mvaé et ntoumou des subdivisions de Sangmelima, d'Ambam, de Campo et bien sûr d'Ebolowa. Seuls les Bulu de la subdivision de Kribi n'avaient pas répondu à l'appel d'Awong Ango à cause de la tenue au même moment à Mvoélam, village situé à une quarantaine de kilomètres de Kribi, de leur Esulan dénomée Akonda-Bulu (Solidarité indestructible des Bulu).
Les assises de Nko'ovos marquèrent la fin des Bisulan, simples rencontres claniques, et le début de l' Efulameyoň (rassemblement des tribus), assemblée fang-beti-bulu du Sud Cameroun (Kpwang, 1989 : 52-54).
L'organisation de ces assises avait eu l'accord d'Edjoa Mvondo, le chef du canton bulu de Nko'ovos. Celui-ci participa aux débats, de la même manière que le chef Thomas Akono Beme du groupement esse de Nkolbityé. L’assemblée de Nko'ovos fut le début de l'insertion des chefs supérieurs dans le processus de rassemblement des Fang-Beti-Bulu du Sud Cameroun. Cette présence s'expliquait par le fait qu'après la seconde guerre mondiale, les chefs supérieurs bulu, qui dans les années vingt et trente étaient des vrais tyrans, avaient compris que leur époque était révolue. Les plus malins savaient que dans leur intérêt, ils devaient intégrer la dynamique de rassemblement en cours plutôt que de continuer à la combattre. En fait, les chefs supérieurs des localités fang-beti-bulu du Sud Cameroun, sans exception, ressemblaient à la fin des années 40 à des vieux lions. Ils ne pouvaient que rugir, mais étaient désormais incapables de sortir les griffes comme dans les décennies précédentes. Le Sud Cameroun en général et les zones bulu en particulier étaient devenus l'affaire des évolués, ceux-là qui, à l'instar d'Awong Ango, de Gaston Medou me Mvomo et de Charles Asa'ale Mbiam, avaient fait l'école apportée par des Blancs.
Mais malgré la création de l'Efulameyoň, Awong Ango n'était pas tout à fait satisfait. Son objectif était de créer dans le Sud Cameroun une vaste fédération pahouine à ossature bulu. L'absence des Bulu de Kribi à Nko'ovos était pour lui un demi échec qu'il fallait effacer lors de la prochaine rencontre de l'Efulameyoň prévue au mois de décembre 1948 à Ndengue, village du clan essaéla'ane de la subdivision d'Ebolowa. L'on comprend pourquoi dès la fin des assises de Nko'ovos, il s'employa à associer les Bulu de Kribi. Mais cette fois-ci, il ne s'en occupa pas lui-même. Il fit appel à David Mvondo Medjo, un notable yeminsem d'Ebolakoun, village voisin du sien, et lui confia la mission de prendre contact avec Jean Pierre Meva'a m'Ebolo. Ce dernier était à la fois le président clanique yessok et le président d'Akonda-Bulu. Pour Awong Ango, la fédération souhaitée devait sortir du simple cadre des rencontres fang-beti-bulu. Il s'agissait de créer un vrai mouvement allant au delà des limites artificielles des unités administratives, doté de statuts, d'un siège social permanent, d'un comité directeur au sommet et des bureaux subdivisionnaires à la base21.
Pendant que Mvondo Medjo menait des négociations avec les responsables bulu de Kribi, Awong Ango de son côté rassemblait autour de lui un comité d'évolués chargé de mettre en place les différentes commissions de la prochaine rencontre. Sur les six commissions choisies, les affaires coutumières occupaient quatre (dot et mariage, règlement de conflits coutumiers communiqués à l'assemblée par le tribunal de 1er degré d'Ebolowa, respect des valeurs coutumières, vie au sein des tribus et des villages) (Kpwang, 1987 : 106). Mais, la première commission était celle des statuts et c'est à Mvondo Medjo qu'Awong Ango confia sa présidence. Cette commission mena ses travaux à Ebolakoun. Parmi les personnes choisies par Awong Ango pour rédiger les statuts de la fédération, on retrouvait Gaston Medou, le délégué de la région du N'tem à l'Assemblée Représentative du Cameroun (ARCAM), Paul Menye m'Anjembe, membre influent de l'Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC), Jean Pierre Meva'a m'Ebolo, le président d'Akonda-Bulu et membre du bureau UPC de la section régionale de Kribi, et Philippe Essi Essama, Cégétiste co-fondateur de l'UPC et auteur de la création en juillet 1948 des sections régionales UPC de Kribi et du N'tem22.
Ces personnes représentaient ce que la terminologie coloniale désignait à l'époque sous le vocable d'"évolués". A l'exception de Medou me Mvomo, qui d'ailleurs avait été l'un des tous premiers "élèves" de Gaston Donnat aux Cercles d'Etudes Sociales et Syndicales de Yaoundé en 1944 (Eyinga, 1985 : 58-59), tous les autres étaient membres soit de l'USCC, soit de l'UPC. En 1948, les Cégétistes et les Upécistes étaient parmi les rares Camerounais à s'être déjà confrontés au problème de la rédaction des statuts d'une organisation. En faisant appel à eux, le leader yeminsem avait choisi la fine fleur des progressistes du Sud Cameroun de l’époque. Ainsi, lorsque le 18 décembre 1948, à l'assemblée de Ndengue, Mvondo Medjo présenta les statuts de la fédération tant voulue par Awong Ango, ceux-ci furent approuvés à l'unanimité par acclamation. C'est de cette façon que l'Union Tribale N'tem Kribi (UTNK) émergea à la fin de la décennie quarante dans ce Sud Cameroun en mutation.
Comme nous pouvons le constater, la démarche d'Awong Ango relevait d'une stratégie bien mûrie. Les rédacteurs des statuts de l'UTNK avaient des points communs. D’abord, ils étaient tous des évolués progressistes et ambitieux, formés dans les écoles de la MPA. Ensuite, ils n'aimaient pas les chefs supérieurs et avaient des attaches soit avec l'USCC, la section camerounaise de la Confédération Générale des Travailleurs (CGT), soit avec l'UPC, le parti nationaliste créé en avril 1948 et dont l'une des stratégies consistait à noyauter les associations régionales (Eyinga, 1991 : 40). Toutes les conditions étaient donc réunies pour que l'UTNK naissante corresponde aux vœux de Mme Cozzens, qui était de faire naître dans le Sud Cameroun un vaste mouvement hostile à l'ordre colonial français.
Dès les premiers mois ayant suivi sa création, l'UTNK s'implanta rapidement dans les zones de peuplement fang-beti-bulu du Sud Cameroun. Ce succès s'expliquait par le fait que, lors de la rédaction des statuts, les auteurs avaient transformé les Bisulan en sections de l'UTNK et leurs présidents ont été en même temps élevés au rang de vice-présidents de ce mouvement23. L’autre raison de l’expansion rapide de l’UTNK était que les sections avaient une large autonomie de fonctionnement. Compte tenu de l'aversion que les populations de cette région avaient pour tout ce qui a un caractère centralisé, les rédacteurs des statuts ont pensé que le succès de la fédération viendrait de la liberté d’action de ses sections et bureaux subdivisionnaires.
Comme il fallait s'y attendre, l'UTNK manifesta une hostilité sans limite à l'égard de l'administration et à ses hommes de main, les chefs de cantons et de goupements. Dans une correspondance portant la référence n°53/S/APA/2 et adressée le 20 juin 1949 à Jacques Christol, le chef de la région du N'tem, Ives Gayon, le directeur des APA, écrivait :

Nous nous trouvons en présence d'une organisation qui cherchait sans doute, à l'origine, uniquement à satisfaire, dans un cadre coutumier traditionnel, le désir de regroupement des populations ethniquement analogues et très proches les unes les autres à tous points de vue. Actuellement, au contraire, il ne fait guère de doute qu'un "noyautage" a eu lieu et que, sous l'influence d'une minorité active, nantie des mots d'ordre précis (dont l'origine est facile à déceler), agissant avec assez d'habilité, le mouvement tend à perdre son caractère traditionnel pour devenir, dans un avenir plus ou moins proche, l'ébauche d'un parti politique apparenté à l'UPC et au RDA, sinon entièrement entre leurs mains.
La personnalité des dirigeants (Meva'a, représentant de l'UPC), les méthodes employées et les buts poursuivis (élections, appui sur les éléments jeunes et les évolués turbulents, lutte contre l'autorités des chefs, puis essai de saper la nôtre sous couvert de restauration des coutumes -"tribunaux" coutumiers entièrement indépendants, et des chefs, et de l'administration, mais évidemment "orientés" et manœuvrés - institutions d'une hiérarchie dont le caractère décoratif et grandiloquent peut faire sourire, pour l'instant, mais dont le parallélisme avec notre organisation administrative peut cacher d'autres intentions), toutes ces indications concourent à appuyer cette opinion24.

L’anticolonialisme de l’UTNK fut clairement affiché pendant la toute première mission de visite du Conseil de Tutelle de l’ONU au Cameroun en octobre 1949. Lors du passage des membres de ladite mission à Ebolowa, les dirigeants de la fédération leur remirent une pétition signée par Mvondo Medjo, le "président général de l'UTNK". Dans ce document, l'UTNK faisait une critique acerbe de la gestion française du territoire et demandait le "rattachement des deux Cameroun" et la "levée de la tutelle" (Kpwang, 1997 : 339). Comme on l'aura compris, c'est exactement par ces thèmes que l'UPC posait le problème de la réunification et de l'indépendance. Ce parti, dirigé par Ruben Um Nyobé, pouvait être fier d'avoir réussi à inféoder l'UTNK dès sa création. A travers cette dernière, les nationalistes avaient un précieux instrument leur permettant désormais de porter le message de leurs revendications dans les zones les plus reculées du Sud Cameroun.
L'émergence d'un mouvement anticolonial dans le Sud Cameroun à la fin des années 40 était le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs au départ indépendants les uns les autres :
- le premier facteur était l'opposition aux chefs supérieurs imposés par les colonisateurs. La rejet du pouvoir exorbitant détenu par ces roitelets nègres a conduit à l'avènement des présidents claniques et à la renaissance des Bisulan, prémices de l' Efulameyoň ;
- le second facteur était l'action revancharde de Mme Cozzens, dont l'objectif était de lancer dans le territoire une opposition antifrançaise à partir du Sud Cameroun. Awong Ango, la face visible de l'action souterraine de Mme Cozzens, apparaît comme un élément central de la stratégie savamment élaborée par cette missionnaire d'origine allemande et francophobe. C'est à lui que fut confiée la mission de "récupérer" les Bisulan pour en faire une fédération rassemblant tous les Fang-Beti-Bulu du Sud Cameroun ;
- le dernier facteur était l'entrée en scène de l'UPC, le mouvement nationaliste formé en avril 1948 à Douala par des Cégétistes (Eyinga, 1985 : 69). La stratégie de l'UPC au début de ses activités consistait à satelliser les associations traditionnelles existantes, à l'instar du Ngondo et du Kumze, et à susciter la création d'autres pour en faire des organes d'avant-garde (Otekelek, 1996 : 58). C'est dans cet esprit qu'il faut voir la présence des Upécistes et des Cégétistes dans la dernière phase du processus de regroupement des Meyon (tribus) des régions administratives du N’tem et de Kribi. La question est maintenant de savoir comment, face à cette action anticoloniale qui se mettait en place dans le Sud Cameroun, l'administration française réagit-elle ?

2. La riposte des autorités administratives

Les autorités françaises ne pouvaient ne pas être au courant des activités de Mme Cozzens. Déjà, depuis leur installation en 1916, elles avaient toujours été sur le qui-vive dans cette partie du territoire à cause évidemment de la forte influence de la MPA, une mission protestante qui ne faisait aucun mystère sur ses positions anticoloniales. L'anticolonialisme affiché par l'UTNK, dès sa constitution, les poussa à une riposte musclée en trois phases. Dans un premier temps, celle-ci consista à retarder le dossier d'approbation des statuts de l'UTNK et, dans un second, à combattre les dirigeants progressistes des sections subdivisionnaires. La troisième phase fut l'élimination physique de Mme Cozzens et d'Awong Ango.
Lors de la création de l'UTNK, Awong Ango est resté à l'arrière plan. Mais il a fait élire Mvondo Medjo, son cousin clanique, à la présidence générale de la fédération. Cette stratégie avait pour but de faciliter l'approbation des statuts de l'association par les autorités. Si l'on se réfère à la réglementation en vigueur depuis la création de l'Union Française (UF) en 1946, l'UTNK ne pouvait pas commencer à fonctionner avant d'obtenir des autorités le récépissé attestant que l'administration avait bien pris connaissance des statuts déposés au bureau de la région du N'tem le 4 janvier 1949 par son président général. Selon la loi française de 1er juillet 1901 relative aux "sociétés mutuelles", et du décret du 16 août 1916, rendus applicables au Cameroun par le décret n°46/740 du 18 avril 1946, et promulguée par l'arrêté du 26 avril 1946, les associations étaient dans l'obligation de procéder à une déclaration officielle25.
En principe, cette déclaration devait être une simple formalité, car il fallait juste déposer dans les services administratifs de la région un dossier comprenant les statuts, la liste des membres du comité directeur et, éventuellement, le procès verbal de l'assemblée constitutive. En retour, les prometteurs recevaient un récépissé de déclaration. Si en France, au titre de la loi de 1901 mentionnée ci-dessus, l'administration avait l'obligation de rendre publique la déclaration, au Cameroun, les autorités utilisaient toutes sortes de subterfuges pour empêcher les associations naissantes, y compris les partis politiques, d'exercer normalement leurs activités.
Sur le récépissé de la déclaration en effet, il y avait en marge à gauche, la mention "Le présent récépissé ne préjuge en quoi que ce soit de la légalisation de l'association désignée ci-contre". Toute association créée au Cameroun, qu'il s'agisse de parti politique, de syndicat ou de regroupement identitaire, ne pouvait commencer ses activités qu'après l'approbation officielle des statuts par la direction des APA de Yaoundé. Et c'est là que se trouvait le problème, car les autorités n'hésitaient pas à tirer avantage de leur position de force en laissant traîner en longueur l'approbation officielle. Les fondateurs de l'UPC furent confrontés à cette réalité après le lancement de ce parti en avril 1948. Il a fallu l'intervention des milieux progressistes de l'Hexagone, proches du RDA et du parti communiste, pour que les services du Haut Commissaire Hoffherr consentent enfin à légaliser l'UPC (Eyinga, 1991 : 26). L'UTNK se trouvait dans cette situation en 1949. Son premier congrès prévu en février de la même année fut interdit sous prétexte que les statuts n'avaient pas encore reçu l'approbation officielle de l'administration (Kpwang, 1987 : 119).
Tout en faisant la sourde oreille, les autorités de Yaoundé dépêchèrent Jacques Christol à Ebolowa comme nouveau chef de la région du N'tem. Sa première mission était d'éliminer de la scène l'UTNK et, à défaut, tout faire pour étouffer son orientation anticoloniale. La seconde mission de cet administrateur des colonies était de surveiller les missionnaires d'Elat, surtout ceux qui, à l'instar de Mme Cozzens, étaient connus comme anti français. Christol fut donc l'exécutant principal de la stratégie de combat élaborée par les autorités de Yaoundé contre les dirigeants progressistes et les prometteurs de l'UTNK. Dans une correspondance confidentielle adressée à Christol, Ives Gayon lui-même avait prescrit les grandes lignes de ce combat :

Je pense qu'il nous faut d'abord être renseignés de la façon la plus exacte possible sur les dirigeants, les buts, les méthodes de l'UTNK… L'influence qu'elle acquiert, les difficultés qu'elle rencontrerait éventuellement, et les similitudes ou les différences quelle présente dans les deux régions.
Il y a lieu de soutenir au maximum toutes les organisations locales existantes ou à venir dont l'action, conformément à nos principes, pourrait s'opposer à l'influence de l'UTNK…L'union tribale cherche évidemment, dès à présent, à saper l'autorité des chefs. Il faut donc mettre ceux-ci sérieusement en garde, leur souligner le péril, leur montrer qu'ils ont tout intérêt à ne pas se séparer de nous, car le succès de l'UTNK mettrait en question l'existence même de leurs fonctions et les avantages qui y sont attachés.
Vous voudrez bien préciser discrètement à ceux qui d'entre eux qui se seraient déjà laissés entraîner dans cette association, qu'ils n'y ont pas leur place et que, le cas échéant, nous nous serions obligés de leur donner à choisir entre leurs fonctions officielles et leur qualité d'adhérent à l'UTNK26.

Face au silence de l'administration, les dirigeants de l'UTNK, précisément Mvondo Medjo, le président général, et Gaston Medou, le secrétaire général27, n'ont pas hésité à entreprendre une démarche auprès des autorités régionales d'Ebolowa pour obtenir l'approbation des statuts. Mais suite à l'échec de cette action, ils furent contraints de se rendre ensemble à Yaoundé pour louer les services du Léon Fouletier, un avocat français installé à Yaoundé et collègue de Medou à l'ARCAM. Pour s'acquitter des frais exigés, les dirigeants de l'UTNK organisèrent une vaste opération de collecte de fonds dans tout le Sud Cameroun auprès des populations fang-beti-bulu.
Devenu le défenseur des intérêts de l'UTNK, Me Fouletier fit parvenir le même mois un nouveau dossier aux autorités de Yaoundé. Dans une correspondance du 4 mai 1949, le directeur des APA lui répondit que l' "UTNK, simplement déclarée, ne pouvait recevoir les dons et legs contrairement à ce qui est prévu dans l'article 12 de ses statuts"28. On l'aura compris, cette réponse était en fait une mesure dilatoire de la part des autorités de Yaoundé. Ces dernières voulaient seulement gagner du temps, ce qui leur permettait de trouver des voies et moyens de combattre l'UTNK.
Outre le métier d'avocat, Léon Fouletier était aussi l'un des délégués élus en 1946 au collège européen pour représenter les Blancs vivant au Cameroun à l'ARCAM29. Il connaissait donc les pratiques et les mesures dilatoires de ses compatriotes de l'administration, d'autant plus qu'avant le dossier de l'UTNK, il avait deux ans auparavant défendu celui du Kumze, une association presque similaire créée dans la région bamiléké par Mathias Djoumessi, le chef du groupement de Foréké-Dschang30. Me Fouletier a rapidement compris que le refus des autorités d'approuver les statuts de l'UTNK n'était aucunement lié à une simple question de "dons" et "legs", mais avait des dessous politiques, compte tenu de l'orientation progressiste prise par l'UTNK. C'est la raison pour laquelle, en guise de réponse, il fit parvenir à Yves Gayon une lettre dans laquelle il était clairement mentionné :

En réponse à votre lettre relative au projet du dépôt des statuts de l'Union Tribale Ntem-Kribi, j'ai l'honneur de vous faire connaître que les fondateurs de cette association sont d'accord pour supprimer la mention " dons et legs" dans l'article 12 du projet. Ils sont également prêts à éliminer ceux des membres du futur conseil dont le nom ne recueillerait pas l'agrément de l'administration31.

Malgré ces concessions, les autorités françaises restèrent sur leur position, ce qui bloquait le fonctionnement de l'UTNK au niveau de l'assemblée générale (appelée encore Congrès), son organe suprême. En d'autres termes, sans le récépissé de l'administration, les dirigeants ne pouvaient pas organiser le congrès, un événement que beaucoup de gens dans le Sud Cameroun attendaient avec impatience. Ce qui nous amène à la question de savoir pourquoi les autorités s'acharnèrent-elles sur l'UTNK alors que dans le territoire, d'autres associations, à l'instar du Ngondo des Duala, fonctionnaient normalement ?
Pour répondre à cette question, nous dirons tout simplement que l'hostilité des autorités envers l'UTNK était guidée par trois principales raisons :
- La première raison était le succès rencontré par l'UTNK dans les premiers mois ayant suivi l'assemblée constitutive. L'article 9 de ses statuts stipulait que l' "association débutera ses activités le jour du dépôt légal de statuts"32. C'est sur la base de cet article que les responsables subdivisionnaires n'ont pas attendu l'approbation officielle des statuts pour lancer les activités de la fédération dans leurs localités. Le succès de l'UTNK provenait du fait qu'elle avait récupéré l'héritage des Bisulan. Ce qui, en d'autres termes, voulait dire que les anciennes assemblées subdivisionnaires d'avant 1948 s'étaient tout simplement transformées en sections locales de l'UTNK. Les présidents claniques qui les présidaient étaient donc automatiquement devenus les vice-présidents de l'UTNK (Kpwang, 1987 : 121). La seule nouveauté était que dans les groupements et les cantons, les gens s'étaient précipités pour créer les comités locaux dans les villages. Cette opération était considérée par l'administration comme une façon de contrer l'autorité des chefs supérieurs de plus en plus isolés.
Il est important de noter que l'administration tolérait les Bisulan dès lors que leur audience se limitait au niveau des subdivisions. Mais avec l'UTNK, la situation changea, car cette dernière transcendait les limites des unités administratives. Les autorités françaises chargées de la gestion du territoire avaient donc peur de se trouver un jour devant une UTNK puissante qui, ayant réussi à dépasser les frontières artificielles imposées aux populations par la colonisation, dresserait contre elles une masse homogène.
- La deuxième raison était que, pour les autorités, l'UTNK n'était qu'une association téléguidée par l'UPC. Cette dernière, qui avait dû se battre pour arracher sa légalisation à l'administration française, avait décidé de satelliser les "associations traditionnelles", terminologie employée par les autorités coloniales pour désigner les regroupements identitaires. Le contrôle des ces associations devait permettre à l'UPC de propager son discours nationaliste, basé sur la réunification et l'indépendance, dans les régions les plus reculées où ces associations étaient fortement implantées (Eyinga, 1985 : 74). Association rurale par excellence, l'UTNK était l'exemple typique des organisations tant convoitées par le jeune parti nationaliste. Déjà, de nombreux signes semblaient confirmer la thèse défendue par les autorités, celle selon laquelle l'UPC avait déjà pris le contrôle de l'UTNK. C'est le cas de la présence très active d'Essi Essama et de Menye m'Anjembe dans la dernière phase de la constitution de la fédération. Ces deux hommes, comme on le sait, étaient des Cégétistes activistes et, selon Adalbert Owona, le second aurait même fait partie des douze Camerounais ayant participé à la réunion constitutive de l'UPC le 10 avril 194833. Entre juillet et août 1948, Menye m'Anjembe et Essi Essama ont été à l'origine de la création des bureaux de l'UPC dans le Sud Cameroun, notemment à Kribi, Ebolowa, Sangmelima et Zoétélé34. Mais, c'est surtout la présence de Meva'a m'Ebolo à la vice-présidence de l'UTNK qui était aux yeux des autorités administratives françaises la preuve irréfutable de la prise de contrôle de l'association par l'UPC.
- La troisième raison de l'hostilité des autorités françaises était le soutien que l'UTNK a bénéficié de la part de la MPA à travers certains missionnaires blancs et dignitaires camerounais (pasteurs, anciens d'église, diacres) de cette mission protestante. Parmi les missionnaires américains qui se sont engagés publiquement dans la mise en place de l'UTNK, on retrouvait le pasteur Ronald Brook, surnommé par les Bulu Oton te ko afan woň (Le ruisseau n'a pas peur de la forêt)35. Le pasteur Brook, évangéliste et musicien, était hostile à la colonisation en général et à la présence française au Cameroun en particulier. Dans ses sermons, il ne cessait de dire que les Noirs devaient prendre en main le destin de leur pays. Il était en poste à la station MPA de Foulassi et ne se privait pas de jouer le rôle de conseiller des responsables de l'UTNK. Lors de l'assemblée constitutive de Ndengue, c'est lui qui avait d'ailleurs célébré le culte d'ouverture des assises36. Pour les autorités, l'UTNK n'était qu'une création des missionnaires presbytériens désireux de contrer les efforts de l'administration. Cette vision ressort clairement dans une correspondance adressée en juin 1949 par Becon, le chef de la subdivision d'Ebolowa, au chef de la région du N'tem où, sans ambages, il affirmait :

L'UTNK dans son premier mouvement d'expansion bénéficia d'autre part de la présence de la MPA. Ne perdons pas de vue en effet, qu'à Ebolowa, cette mission protestante se trouve très fortement organisée et qu'elle possède dans le Ntem un grand nombre d'écoles.
De part son enseignement surtout favorisant l'esprit de discussion, le goût de la liberté et parfois des idées courantes de l'Amérique contre le "colonialisme", la MPA prépara chez ses adeptes les plus intelligents, un terrain favorable à un mouvement progressiste. Car au fond, c'est sous cet angle qu'il faut envisager, nous semble-t-il, l'apparition de l'UTNK, bien que ce mouvement veuille dès son origine lutter contre la désaffection concernant certaines coutumes37.

L'hostilité manifestée par l'administration française a conduit non seulement à l'interdiction du premier congrès prévu en février 1950, mais aussi à une action répressive contre les dirigeants et les initiateurs de l'UTNK.
Dans ce combat, l'administration lança une cabale contre les responsables progressistes de l'UTNK. Ceux-ci furent harcelés et persécutés dans toutes les subdivisions administratives des régions du N'tem et de Kribi. Parmi les cibles privilégiées des autorités, on retrouvait :
- Le vice-président Simon Ndo Zo'o, infirmier et président UTNK de la section Ntoumou d'Ambam. Il fut chassé du dispensaire d'Ambam où il exerçait. Après un bref séjour dans son village où il entendait s'installer comme planteur, la MPA le recruta pour ses centres de santé. Il restera au service de cette mission jusqu'à sa mort en 1962.
- Essi Esama, représentant de l'UPC dans la subdivision de Sangmelima. Il fut l'objet de maintes interpellations, les autorités lui reprochant d'avoir été l'"instigateur de l'affiliation de l'Union Tribale à l'UPC"38. Après le premier congrès de l'UPC tenu à Dschang, où Essi Essama avait accédé au poste de vice-président de ce parti (Eyinga, 1991 : 40), les autorités multiplièrent des actes de harcèlement et de provocation ; ce qui l'obligea à se mettre en marge de la mouvance nationaliste. Il se retira à Abang-Ngok, son village natal situé proche de Zoétélé où il s'installa comme planteur39.
- Menye m'Anjembe, Cégétiste et Upéciste fiché dans les services de la police. Il occupait le poste de conseiller au comité directeur de l'UTNK. Il fut contraint en août 1949 de se "faire oublier", le temps de laisser passer l'orage. En 1950, Menye m'Anjembe abandonne l'USCC pour suivre Charles Asa'ale dans l'Union des Syndicats Autonomes du Cameroun (USAC). Après l'échec de l'USAC, Asa'ale entraîna une fois de plus Menye m'Anjembe dans l'aventure de Force Ouvrière (FO), un syndicat créé avec le soutien financier du Haut Commissaire Soucadeaux et du patronat blanc du territoire pour contrer l'USCC (Chaffard, 1967, 354).
En rejoignant un syndicat concurrent de l'USCC, Menye m'Anjembe voulait mettre fin à la cabale dont il était l'objet. En 1953, une fois l'orage passé, il revint au sein de la fédération et fut élu peu après au poste de secrétaire général. Dès lors, il commença à conspirer pour faire partir le notable Mvondo Medjo de la direction de l’Efulameyoň. En 1956, il réussit à l’évincer de la présidence générale du mouvement et transforma celui-ci en une machine électorale au service de son ami Asa'ale Mbiam (Kpwang, 1997 : 256-257).
- Meva'a m'Ebolo, vice-président UTNK et président de la section régionale Bulu de Kribi. Seul Upéciste à avoir accédé ouvertement à la haute direction du mouvement, c'est sur lui que l'administration s'acharna le plus. Au mois de juin 1949, le chef de la région de Kribi fit parvenir un rapport accablant pour Meva'a m'Ebolo à ses supérieurs de Yaoundé et dans lequel on pouvait lire :

En 1948, je signalai le danger des clans bulu qui devaient frayer la voie aux associations tribales. Ces chefs de clans se sont imposés et maintenant se font élire. Le plus marquant, Meva'a Jean (ou Joseph) est président du Ntem-Kribi à Kribi…Il est tour à tour chef de clan, représentant officiel de l'UPC et maintenant président de Ntem-Kribi.
Le rôle de Meva'a, qui reste le plus possible dans l'ombre esquive les convocations et doit actuellement manœuvrer à Douala, en déclarant que la liberté est menacée, qu'il est victime d'une cabale, que ses frères sont exploités indignement, etc…, est de créer une clientèle naïve et fanatique, qu'il attire avec le mirage des coutumes restaurées, des tribunaux coutumiers indépendants. Cette clientèle, il la détache des autorités administratives-il la fait voter-il lui donne des instructions de passivité ou de résistance. Il l'utilise comme moyen de ruiner le chef supérieur, son crédit et nos possibilités d'action.
La singulière conception qu'à Meva'a de son rôle de chef de clan consiste donc à lui faire créer un nouvel ordre administratif parallèle au nôtre. La logique est aussi rigoureuse que précise et, dès que l'on se laisse prendre au piège captieux, on est sans défense devant l'argutie…
Bientôt - à la première consultation électorale sans doute - nous verrons des masses libérées de l'autorité par des chefs de clans rejeter l'autorité administrative sous toutes ses formes et demander à s'administrer sous de nouvelles formes…
Cette tactique, Meva'a l'applique – il ne l'a pas inventée – mais sa qualité d'agent de l'UPC explique la sûreté de ses manœuvres. C'est une sorte de RACAM, mais cette fois sa base d'action est en brousse, qui se révèle40.

Ces propos du chef de la région de Kribi montrent que les administrateurs français percevaient Meva'a m'Ebolo comme un réel danger. C'est la raison pour laquelle tout fut mis en œuvre pour le neutraliser. Pour y arriver, les autorités de Kribi montèrent contre lui une histoire de vol de chaussures dans les services de la douane où il travaillait. Meva'a fut accusé de "vol et recel" par la direction des douanes et chassé de son emploi. Sentant une lourde menace planer sur sa vie, il quitta précipitamment la ville de Kribi en octobre 1949 et se réfugia à Efulan où la MPA le prit à son service comme moniteur. Après son départ de Kribi, les autorités régionales n'entreprirent aucune action contre lui pour le traîner devant la justice (Kpwang, 1989 : 135).
Si les progressistes de l'UNTK furent l'objet d'une cabale qui les contraignit à mettre en veille leur activisme, et par ricochet à sauver leur vie, tel ne fut pas le cas des initiateurs de l'UTNK. En effet, pour Mme Cozzens et Awong Ango, les autorités optèrent pour une "solution finale", c'est-à-dire leur élimination physique. Les responsables français pensaient que les missionnaires de la MPA étaient une menace pour leur présence au Cameroun. Mais ils étaient plus soupçonneux envers les missionnaires américains de souche germanique. Plus que les hommes, Mme Cozzens était la femme à abattre (Mballa, 1987 : 171).
De son côté, Mme Cozzens ne faisait aucun mystère de son mépris envers des Français. Pouvait-il en être autrement de la part d'une américaine d'origine allemande arrivée au Cameroun juste après le Diktat de Versailles ? L'on sait en effet qu'à la Conférence de Versailles, ouverte en janvier 1919, la France et la Grande-Bretagne ont officialisé la confiscation du Cameroun et de tous les autres territoires d'outre-mer arrachés à l'Allemagne impériale et à l'empire turc ottoman pendant la première Guerre Mondiale (Pontiel, 1973 : 7). Pour les Allemands, y compris ceux de la diaspora, Versailles ne fut rien d'autre qu'une "escroquerie" et le Cameroun, un des "territoires volés". Ezerberger le déclara publiquement en disant que le "vol qui se commet à Paris ne portera bonheur au monde et attaque directement l'existence même de la Société des Nations". Comme on peut le deviner, cet Allemand ne faisait que porter à la connaissance des Alliés ce que ses compatriotes n'avaient pas le courage de dire tout haut, mais qui était le point de vue généralement partagé dans la République de Veimar naissante. Vivant sur place depuis 1919, Mme Cozzens ne pouvait ne pas partager ce point de vue qui faisait du Cameroun un "territoire volé".
Il est évident que dans les années trente, Mme Cozzens, toujours attachée à son pays d'origine, ait nourri l'espoir de voir l'Allemagne revenir au Cameroun, d'autant plus que le IIIème Reich menait en Europe une intense campagne pour le retour de l'Allemagne dans ses anciens territoires d'outre-mer (Le Vine, 1985 : 63-64). Mais avec la chute du régime nazi, suivie de l'occupation et de la division de l'Allemagne, cet espoir fut brisé à jamais. Ce qui, sans aucun doute, n'a fait qu'augmenter la haine que Mme Cozzens avait déjà vis-à-vis des Français en général et de leur présence au Cameroun en particulier. C'est ce qui explique son action souterraine dont Awong Ango n'était que la face visible de l'iceberg.
Il semblerait que c'est l'arrivée au Cameroun d'une mission de visite de l'ONU dès le mois d'octobre 1949 qui a amené les autorités françaises à passer immédiatement à l'action. Les informations parvenues aux responsables de la région du N'tem faisaient état des documents compromettants que Mme Cozzens et Awong Ango s'apprêtaient à remettre aux membres de la dite visite dont l'itinéraire prévoyait une escale à Ebolowa.
La mission d'éliminer Mme Cozzens fut confiée à un privé de la coloniale, un certain Magnan (Mballa, 1989 : 194). Ce dernier était arrivé à Ebolowa en prétendant reprendre la scierie abandonnée de Mvila-Yeminsem, village situé à une trentaine de kilomètres au Sud d'Ebolowa. C’est le chef de la région du N'tem lui-même qui fit des démarches auprès des missionnaires d’Elat pour qu’ils mettent un logement à la disposition de Magnan41. Ainsi, en venant loger à Elat, Magnan pouvait connaître les habitudes et les horaires du couple Cozzens. Mais il ne lui était pas facile de s'attaquer à l'épouse à cause bien sûr de la présence de son mari.
Pour lui faciliter la tâche, le chef de la région du N'tem, Jacques Christol, sollicita Edwin Cozzens pour se rendre à Ebebeyine en Guinée espagnole afin de réparer un pont écroulé. Il est à noter que de temps en temps, l’ingénieur américain exécutait de tels travaux pour le compte des autorités coloniales espagnoles qui ne disposaient pas de cadres aussi compétents que lui dans le domaine du génie civil. Cette mission était en fait un moyen d’éloigner Cozzens de son épouse afin de permettre au bourreau d’exécuter tranquillement sa tâche. C’est le 12 octobre que l’ingénieur américain se rendit en Guinée espagnole, le matin suivant, c’est-à-dire le 13, en arrivant au domicile sur pilotis qu'occupaient les Cozzens, la domestique trouvait l’épouse étendue nue sur le plancher, la gorge sectionnée, les tendons coupés et baignant dans une mare de sang coagulé (Angounou, 1972 : 24).
Les autorités françaises d'Ebolowa déclenchèrent un semblant d'enquête. Le lendemain de l'assassinat de Mme Cozzens, les forces de police de la ville se ruèrent à Elat et arrêtèrent de nombreux agents camerounais qu'ils emmenèrent manu militari. Mais on l'aura compris, cette parodie d'enquête visait à brouiller les pistes et "camoufler" un assassinat politique (Mballa, 1989 : 195). Il fallait trouver un bouc émissaire camerounais, malgré l'implication trop évidente des autorités dans ce nième crime colonial. Malgré de nombreuses accusations le mettant directement en cause, à l'instar de celle de Paul Essi Ndillé, le président clanique yévol et chef du quartier Ebolowa-Si, et celle de Samuel Aban Oyono, employé au secrétariat d’Elat, qui affirmèrent l'avoir vu la nuit du meurtre roder autour du domicile des Cozzens (Eman, 1996 : 53), Magnan ne fut nullement inquiété. Au contraire, il quitta tranquillement la ville d'Ebolowa et retourna en France, abandonnant le scierie de Mvila-Yeminsem, une activité qui n'aura été en fait qu'une simple couverture42.
Pour avoir des informations complémentaires pouvant servir à l'enquête en cours, prétendirent-ils, les responsables français d'Ebolowa convoquèrent Awong Ango au bureau de la région. Par la suite, il fut placé en détention préventive. Deux jours plus tard, c'est-à-dire le 15 octobre, il trouvait la mort à la prison d'Ebolowa de suite de torture. Le rapport d'autopsie, effectuée par le Dr Rouen, le médecin français directeur de l'hôpital d'Ebolowa, conclut qu' "Awong Ango est décédé de suite d'une maladie de foi". L'enquête fut bouclée et sa dépouille transportée dans un cercueil scellé à Man-mi-Yeminsem, son village natal. Il fut enterré le 17 octobre 1949 dans un climat de stupeur et de peur presque généralisés (Oyono, 1993 : 20).
Les autorités françaises d'Ebolowa allèrent jusqu'au bout de leur logique en trouvant un bouc émissaire camerounais, en la personne d'André Mbarga Mvondo. Ce dernier fut accusé de l'assassinat de Mme Cozzens. Employé au secrétariat d’Elat où il était l'un des agents, Mbarga Mvondo avait tout simplement voulu tirer profit de la tragique disparition de Mme Cozzens en dérobant une forte somme d'argent à la caisse. Lors des investigations et des fouilles, les Français ont découvert cet argent bien emballé et dissimulé derrière la grande armoire du bureau qu'il partageait avec d'autres agents du secrétariat (Kpwang, 1997 : 140-141). Pendant l'interrogatoire des employés camerounais du secrétariat emmenés par la police, Mbarga Mvondo reconnut être l'auteur du vol. Mais il nia avoir commis le meurtre de sa supérieure. D'ailleurs, il fut établi qu'au moment de l'assassinat de celle-ci, l'accusé était hors d'Ebolowa, précisément à Biwong-Bane, son village natal où la tragique nouvelle lui était parvenue (Oyono, 1993 : 22).
Malgré de nombreux témoignages plaidant en faveur de l'innocence de Mvondo Mbarga, les Français ne voulaient rien entendre. Il fut accusé du meurtre de Mme Cozzens. Mais au lieu de le juger sur place, les autorités administratives du territoire décidèrent que son procès aura lieu à Brazzaville, ce qui était assez surprenant car, comme nous le savons, le Cameroun français était un territoire administrativement indépendant de l'Afrique Equatoriale Française (AEF) et disposait les tribunaux compétents pour juger l'accusé. La meilleure façon de montrer que l'enquête avait été bien menée n'était-elle pas de faire juger Mbarga Mvondo à Ebolowa ? En décidant de le transférer à Brazzaville, capitale de l'AEF, les autorités françaises du territoire montraient clairement qu'elles étaient à la recherche d'une échappatoire pour gagner du temps et laisser les esprits se calmer. Mbarga Mvondo fut donc transféré à Brazzaville. En 1951, on le ramena au Cameroun et il ne fut plus jamais inquiété.
Lors de l'assemblée générale de l'UTNK tenue à Nko'olong (subdivision de Kribi) du 10 au 19 février 1952, Mbarga Mvondo déclara qu'au Congo Brazzaville, il n'avait jamais été en prison pendant les deux années qu'il passa dans ce territoire. Les Français l'ont trimbalé de ville en ville et, en 1951, lui ont donné assez d'argent pour rentrer chez lui43.
Mme Cozzens et Awong Ango représentaient un réel danger pour l'ordre colonial dans le Sud Cameroun. A l'échelle du territoire, le colonialisme français était déjà confronté au nationalisme intransigeant de l'UPC. Lorsque l'on regarde aujourd'hui la façon dont s'est déroulé le double assassinat d'octobre 1949 à Ebolowa, la manière dont les autorités françaises ont traité cette affaire, il ne fait aucun doute que la décision d'éliminer physiquement Mme Cozzens et Awong Ango avait été prise au sommet de la hiérarchie administrative. L'objectif était d'étouffer l'anticolonialisme de l' Efulameyoň. Les autorités, en s'attaquant à Mme Cozzens et à son homme de main de la manière la plus brutale, ont voulu lancer un message fort aux progressistes du mouvement, leur faisant comprendre qu'elles ne reculaient devant rien, même pas devant la vie humaine, pour casser la voie prise par l'association. Le message a été compris comme le souligne Richard Joseph lorsqu'il écrit :

D'après de nombreux correspondants de la région d'Ebolowa, l'assassinat de Madame Cozzens, employée américaine de la MPA, qui avait activement participé à développer l'Efoula Meyong en un mouvement anticolonial, fut déterminant dans la décision de nombreux militants locaux de se désolidariser de cette orientation révolutionnaire. L'opinion unanime de plusieurs résidents que j'ai interviewés, y compris d'anciens voisins de Madame Cozzens, était que le meurtrier était un agent français et non son secrétaire camerounais qui mourut mystérieusement après avoir été placé en détention préventive (Richard, 1986 : 191).

Dans tout le Sud Cameroun, les gens adoptèrent en effet une attitude de réserve dès que l'hostilité des autorités a commencé à se manifester avec insistance. Les dirigeants de l'UTNK eux-mêmes n'hésitèrent pas à mettre momentanément en veilleuse leurs activités. Après le double assassinat de Mme Cozzens et de son fils adoptif, on avait l'impression que l'UTNK était étouffée à jamais.
C'est le moment d'ouvrir une parenthèse pour dire que Mme Cozzens était consciente du fait que l'action dans laquelle elle s'était engagée lui attirerait des ennuis et qu'elle risquait de perdre sa vie. Mais elle n'avait pas peur car, en toute liberté, elle s'est portée volontaire pour ce rôle que son statut de missionnaire ne lui obligeait nullement à jouer. Cette réalité indiscutable est clairement attestée par les paroles de sa dernière traduction des cantiques, celle achevée le 12 octobre 1949 et trouvée à son chevet le matin de son assassinat. Il s'agit du cantique n° 168 du recueil Bia bi Zambe intitulé Ô kate mba foé nyo (the conforter has come). Voici ce qu'on lit dans le 4ème et dernier couplet :

Me nji ke tu'a yem, zen m'aye wulu den,
Nge m'aye wô'ô mintaé, nge m'aye yene mvaé,
V'akôsa bo awu, me nji ko woň,
Nya Mvolô Nlem a nto (Bia bi Zambe, 1954 : 140).

Une traduction fidèle de ces paroles de la langue bulu en langue française étant quasi impossible, une traduction approximative donne à peu près ceci :

Je ne connais pas très bien, le chemin que je vais emprunter ce jour,
Je ne sais pas, si je vais souffrir, ou si je rencontrerai le bonheur,
Mais malgré la mort, je n'ai plus peur car,
Le Saint-Esprit est avec moi.

On ne peut résister à la tentation d'établir une comparaison entre ces dernières paroles de Mme Cozzens, véritable défi à ses bourreaux, et les propos tenus à New York, précisément au Harlem Armory, le 17 décembre 1964, par Martin Luthur King après son triomphe à Oslo où il avait reçu le Prix Nobel de la paix. Dans son allocution, l'apôtre de la non-violence et leader de la lutte contre l'injustice et la discrimination raciale aux Etats-Unis déclarait :

Je suis, au sens propre, resté au sommet de la montagne de la transfiguration…J'aurai aimé rester, mais la vallée m'appelle. C'est là que se trouvent ceux qui ont besoin d'espoir, ceux qui ont besoin de s'en sortir. En redescendant dans cette vallée, la foi m'accompagne, la foi dans le triomphe de la vérité et de la justice. Fort de cette foi, je redescends dans la vallée (Puckrein, 1993 : 2).

Etrange destin que celui des combattants des nobles causes, on dirait qu'ils préfèrent narguer leurs bourreaux et affronter la mort plutôt que de renoncer à la voie dans laquelle ils se sont engagés. Mme Cozzens, au même titre que Martin Luthur King Jr, en constitue une parfaite illustration.
L'administration française, soufflant le chaud et le froid, consentit enfin à approuver les statuts de l'Efulameyoň. Ainsi, le 27 octobre 1949, le directeur des APA donnait une suite à la démarche de légalisation des statuts entreprise par ses dirigeants. Il fut cependant recommandé à Me Fouletier de dire aux dirigeants de l'association de ne "plus faire de la politique", expression que l'avocat français a défini comme "tout ce qui touche de près ou de loin à l'administration du territoire, donc à ses représentants qualifiés, fonctionnaires et chefs"44. L'UTNK pouvait donc mener ses activités au niveau de l'assemblée générale, l'organe suprême. Dans une correspondance adressée à tous les présidents des sections subdivisionnaires, donc aux vice-présidents de la fédération, Mvondo Medjo rappela la nouvelle ligne apolitique de l'association :

Il est rappelé à tous les membres et surtout à tous les présidents de section chargés de la direction de l'UTNK qu'il est absolument interdit de mener une propagande en faveur d'un parti politique quelconque. Notre ligne de conduite demeure celle de l'UTNK conformément aux statuts qui viennent d'être approuvés45.

La reprise des activités de l'UTNK fut en partie l'œuvre des Yeminsem d'Ebolakoun, le village natal du président Mvondo Medjo et siège de l'association, et de Man-mi-Yeminsem, le village natal d'Awong Ango. Ce clan considérait l'UTNK comme un lourd héritage de leur président assassiné, un héritage qu'il fallait à tout prix bien géré, quel qu'en soit le sacrifice. De leur côté, les autorités veillaient à ce que les activités de l'association se déroulent dans le "strict respect des statuts". Le 17 janvier 1950, Christol fit une brève visite aux populations d'Ebolukoun pour le rappeler. Dans son allocution qui était en fait un réel avertissement, le chef de la région du N'tem déclara :

Le fait d'être constitué en association ne change rien de ce qui existe déjà en ce qui concerne le commandement de l'administration et des chefs.
Si votre association veut sortir du rôle assigné par les statuts, elle aura des difficultés avec les autorités. Une pétition signée "le président général de l'UTNK" a été remise à la mission de visite du conseil de tutelle de l'ONU. Cette pétition réclame le rattachement du Cameroun anglais et du Cameroun français. En quoi ce rattachement intéresse-t-il les Boulou et les Ntoumou ? Combien y a-t-il de Mvaé au Cameroun britannique ?46.

Ce discours était clair. Si dans le cadre de ses activités, l'UTNK se livrait encore à des revendications d'ordre politique, l'administration serait prête à récidiver. Le double assassinat de Mme Cozzens et d'Awong Ango était encore vivace dans les esprits.


Conclusion

Au terme de cette analyse, il ressort que le processus de regroupement des populations fang-beti-bulu du Sud Cameroun est né de la contestation du pouvoir exorbitant octroyé aux chefs supérieurs par les administrations coloniales allemande et française. Captée par Awong Ango, à l'instigation de Mme Cozzens, cette contestation a conduit à la renaissance des Bisulan et à l'avènement de l'Efulameyoň, encore appelé UTNK47. Mais l'orientation anticoloniale prise par cette fédération pahouine dès sa création lui attira l'hostilité des autorités françaises. Celles-ci, décidées à étouffer toute action nationaliste au Cameron malgré le statut international de ce territoire, n'hésitèrent pas à mettre en place des stratégies machiavéliques pour caporaliser l'UTNK. Les dirigeants progressistes et les initiateurs du mouvement devinrent les cibles des hérauts du colonialisme français. En s'attelant à faire émerger dans le Sud Cameroun un vaste mouvement transcendant les limites administratives et à lui donner une orientation anticoloniale, Mme Cozzens, alias Okonabeng, et Awong Ango, son fils adoptif, se sont attirés les foudres des gardiens locaux de la citadelle coloniale. Leur combat les classe parmi les héros de la liberté et leur assassinat les transforme en martyrs de l'indépendance du Cameroun. Leurs noms méritent aujourd'hui d'être écrits en lettres d'or au panthéon des grandes figures du nationalisme et de l'histoire moderne du Cameroun.

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