VOTE DES PROJETS DE LOI PAR LE PARLEMENT : RAPIDITE OU EXAMEN AU FOND ?
Communication préparée par Dr Samuel Efoua Mbozo’o et M. Nnogo à l’attention de M. Samson Ename Ename
Secrétaire Général Assemblée Nationale du Cameroun
La constitution camerounaise consacre une modification essentielle de la structure du parlement camerounais, à savoir l'introduction du bicaméralisme : Assemblée Nationale et Sénat. Toutefois, à ce jour, il n'existe que la seule Assemblée Nationale. Notre exposé portera par conséquent sur la procédure suivie par cette dernière pour voter la loi. Celle-ci peut être initiée aussi bien par le Président de la République, Chef de l'exécutif camerounais (Projet de loi) que par le parlement (proposition de loi).
Par rapport à l'interrogation que soulève notre thème de réflexion de ce jour : vote des projets de loi par le parlement : rapidité ou examen au fond ? , la pratique camerounaise ne nous permet pas de conclure de manière formelle . En effet, il existe dans notre constitution, notre règlement intérieur, et dans la pratique quotidienne des arguments militant en faveur ou contre l'une ou l'autre hypothèse.
Notre exposé s'attellera donc à dégager ces arguments.
A-Arguments militant en faveur du vote rapide des projets de loi
Certaines dispositions constitutionnelles, légales et une certaine pratique du travail parlementaire militent en faveur d'un vote rapide des projets de loi par l'Assemblée Nationale camerounaise. Ces dispositions concernent :
- La durée des sessions ;
- Le domaine de la loi ;
- La fixation de l'ordre du jour ;
- L'organisation des débats.
1- La durée des sessions
La constitution camerounaise écarte le système de permanence en faveur de celui des sessions. L'Assemblée nationale camerounaise tient par conséquent trois sessions ordinaires de trente jours chacune par an (mars, juin et novembre), avec la possibilité de tenir également, en cas de besoin, des sessions extraordinaires ne prouvant excéder 15 jours chacune (art 14 et 16 de la constitution). Le temps imparti ainsi aux sessions ordinaires (30 jours) ou aux sessions extraordinaires (15 jours) pourrait effectivement laisser croire que l'Assemblée nationale ne dispose pas de suffisamment de moyens pour examiner au fond les textes soumis à son étude, et que, en conséquence, elle procède à un vote rapide de ces textes.
2- Le domaine de la loi
Bien que la constitution camerounaise reconnaisse à l'Assemblée l'initiative législative au même titre que le Président de la République, on constate cependant que la même constitution limite le domaine de la loi, c'est-à-dire, les matières sur lesquelles l'Assemblée Nationale peut légiférer (art 26). Et même en ces matières, le Président de la République peut être habileté par l'Assemblée Nationale à légiférer par ordonnance. Bien que cette loi d'habilitation implique un caractère temporaire de l'autorisation ainsi délivrée et la nécessité d'une ratification parlementaire, il y a lieu de signaler tout de même qu'elle est immédiatement applicable en attendant sa ratification. (art 28).
Les lois d'habilitation sont donc des mesures législatives exceptionnelles qui permettent au Président de la République, Chef de l'exécutif, de faire face aux problèmes urgents qui se posent à ce dernier et qui demanderaient de longs délais liés à la procédure parlementaire. Leur utilisation excessive, dans un pays dont l'institution parlementaire fonctionne moralement, pourrait par conséquent laisser croire qu'on veut contourner le parlement pour faire passer rapidement des lois.
3- La fixation de l'ordre du jour, le vote sans débat, l'urgence, le vote bloqué
La manière dont est fixé l'ordre du jour des travaux de notre Assemblée pourrait également laisser croire à un vote rapide des projets de loi ou propositions de loi. En effet, cet ordre du jour, bien que fixé par la conférence des présidents, comporte en priorité et dans l'ordre que le gouvernement a fixé la discussion des projets ou des propositions de loi qu'il a acceptés, (art 27 du RI et 18 de la constitution)
Par ailleurs, le règlement intérieur de l'Assemblée Nationale prévoie que le gouvernement, une commission saisie au fond ou un député peut demander le vote sans débat ou l'urgence, selon le cas, sur des projets ou propositions de loi soumis à l'examen de l'Assemblée Nationale (art 28 et 44). De même, le vote bloqué, suite à une question de confiance posée par le gouvernement sur un projet de loi (art 34 (4), permet au gouvernement de faire adopter rapidement ses projets de loi par l'Assemblée Nationale.
En somme, la maîtrise de l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée Nationale par le gouvernement et d'autres mécanismes tels que le vote sans débat, l'urgence et le vote bloqué sont autant d'armes entre les mains du gouvernement lui permettant de faire passer rapidement ses projets de loi au niveau de la chambre.
4- L'organisation des débats
Dans le règlement intérieur de l'Assemblée, tout comme dans la constitution, bon nombre de dispositions relatives à l'organisation des débats en commission ou en séance plénière pourraient également laisser croire que notre Assemblée vote rapidement les projets de loi soumis à son examen.
Tel est le cas du temps de parole. En effet, le règlement intérieur autorise la conférence des présidents à répartir le temps de parole lors de certaines séances et même à limiter le nombre des orateurs ainsi que le temps de parole attribué à chacun d'eux.
Dans le même sens, le Président de l'Assemblée ou tout membre de l'Assemblée peut proposer la clôture d'une discussion dès lors que deux orateurs au moins d'avis contraire ont traité du fond du débat en discussion (art 43 du RI).
On pourrait en dire de même des amendements. Ces derniers ne sont recevables que s'ils s'appliquent uniquement au texte en discussion ou s'ils ont été antérieurement soumis par écrit à la commission générale compétente. En dehors de ces cas, seuls sont recevables en séance publique (art 47).
- Les amendements dont le gouvernement ou la Commission saisie au fond ont accepté la discussion ;
- les amendements déposés au nom d'une commission saisie pour avis, sous réserve de leur examen préalable par la commission saisie au fond ;
- Les amendements présentés par le gouvernement.
Toutes ces précautions, organisation des débats, limitation de temps de parole, limitation des amendements, constituent pour l'exécutif, des gardes fous pour éviter que l'Assemblée ne légifère indéfiniment grâce à des techniques comme le Feeling bustering ".
5- Autres arguments militant en faveur du vote rapide
Le phénomène majoritaire dans les parlements aujourd'hui pourrait également contribuer à accélérer le vote des projets de loi. Le Cameroun n'échappe pas à ce phénomène. En effet, il est de tradition aujourd'hui à l'Assemblée Nationale du Cameroun qu'un projet de loi jugé important dans la vie de la nation soit d'abord discuté au niveau du groupe parlementaire majoritaire avant son dépôt à l'Assemblée. Ainsi, les députés ont le loisir de poser les questions, de faire des observations ou de proposer des amendements au gouvernement lors de ces réunions. Ce qui revient à dire que lorsque le texte vient enfin à l'examen de la chambre, les députés, membres du groupe majoritaire, n'interviennent plus beaucoup sur le fond du texte en discussion ; ceci réduit sensiblement la durée des débats et partant entraîne un vote rapide des projets de loi.
Par ailleurs, le gouvernement contribue à sa manière à faire voter
rapidement les projets de loi qu’il juge importants en les présentant à l’examen de la chambre quelques jours seulement avant la clôture de la session.
Enfin, on pourrait citer, au titre des arguments militant en faveur du vote rapide des projets de loi, le niveau de formation et d’éducation des élus. Très peu en effet, sont en mesure de maîtriser tous les contours techniques des projets de loi. Ainsi, faute d’une expertise avérée, les députés ne sauraient faire durée les débats.
Pour nous résumer, nous dirions que le vote rapide des projets de loi par l’Assemblée Nationale est dû à plusieurs raisons d’ordre structurel, fonctionnel et politique que nous avons énumérées plus haut. Toutefois, ces raisons n’épuisent pas la totalité de la réflexion, car il existe bien d’autres arguments qui, eux, militent en faveur d’un examen approfondi des projets de loi soumis à l’étude de l’Assemblée Nationale.
B - ARGUMENTS MILITANT EN FAVEUR D’UN EXAMEN AU FOND DES PROJETS DE LOI
L’étude sur les rapports entre le législatif et l’exécutif montre aujourd’hui que, pour diverses raisons (renforcement du rôle de l ‘Etat, nécessite d’efficacité, phénomène majoritaire etc.), le parlement a tendance à s’effacer devant la puissance grandissante de l’exécutif. En effet, les assemblées parlementaires ne disposent pas de moyens adéquats pour répondre efficacement aux problèmes et aux nécessités du monde moderne. Le pouvoir exécutif semble mieux armé pour agir vite, pour consulter les intérêts socioprofessionnels ou pour négocier avec les syndicats, etc. Devant cet état de chose, les citoyens se posent la question de savoir : « un parlement, pour quoi faire ? », pour reprendre le titre du livre célèbre d’André Chandernagor. Car, s’il est une idée qui rencontre dans l ‘opinion publique un large écho, c’est celle de l’incapacité du législateur à résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les Etats. Certains sont même allés trop loin en programmant la mort prochaine du parlement.
Ces points de vue sont certes vrais mais ils nous semblent pas trop excessifs. Car, si le rôle du parlement est aujourd’hui réduit pour certains- et ils sont nombreux qui le pensent- il n’en demeure pas moins que le parlement continue de conserve certaines attributions importantes pour le régime démocratique et de l’Etat de droit. En effet, le parlement conserve toujours sa fonction de législateur. Certes, les domaines qu’il couvre se sont réduits. Mais il jouit toujours de la prérogative de création des règles de droit les plus importantes et les plus nécessaires, notamment en ce qui concerne la sauvegarde des libertés des citoyens.
Par ailleurs, si l’initiative parlementaire est aujourd’hui remplacée la plupart du temps par des projets gouvernementaux, c’est tout de même le parlement qui conserve le dernier mot, c’est lui qui adopte, amende ou rejette les textes proposés.
Enfin, le parlement demeure le contrôleur quasi exclusif de l’action du pouvoir exécutif qu’il peut sanctionner. C'est dire que, si aujourd’hui, le parlement est une institution parfois supplantée par l’exécutif, il demeure cependant une condition non négligeable au bon fonctionnement du régime démocratique en incitant à la bonne gouvernance, à la promotion de l’Etat de droit, à l’émergence et à la consolidation d’une culture démocratique.
Il serait par conséquent erroné de penser que les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ne sont guidées que par la suspicion mutuelle, la ruse ou le subterfuge, où le premier, pour des raisons évoquées plus haut, tente de faire avaliser ses projets de loi sans examen approfondi du second. En effet, avant ou pendant la procédure législative, le parlement dispose de quelques moyens lui permettant de se faire une idée précise des intentions et objectifs contenus dans les projets gouvernementaux. Qu’il s’agisse des consultations, des auditions, des missions d’information ou des travaux en commission ou en séance publique, le but est le même, à savoir permettre au parlement de se faire une idée aussi exacte que possible de l’économie des projets de loi.
1- Consultation et auditions
Avant que le projet de loi ne soit examiné par la chambre, il arrive que, pour des raisons de technicité, les parlementaires, individuellement ou collectivement (au sein du groupe parlementaire par exemple), consultent des experts pour un éclairage du projet de loi. Parfois, ils auditionnent tous les secteurs d’activité ou professionnels (syndicats, corporation, administration), concernés par un projet de loi pour mesurer les conséquences éventuelles que ce projet aurait sur le secteur concerné.
2- Mission d’information
Les parlementaires effectuent également des missions d’information auprès de certaines sociétés et entreprises pour s’imprégner des réalités et des difficultés que connaissent celles-ci dans leur fonctionnement quotidien. Aussi, sont-ils à même de mieux apprécier les projets relatifs à la privatisation de ces entreprises par exemple.
3- La Constitutionnalité des projets de loi
Une fois le projet de loi transmis à l’Assemblée Nationale par le Président de la République, la conférence de présidents se prononce sur sa recevabilité pour s'assurer que celui rentre bien dans le domaine de la loi telle définie par la constitution. En cas de doute, la conférence des présidents est autorisée à saisir le Conseil constitutionnel pour arbitrage.
4- Le travail en commission et en séance plénière
Un projet ou une proposition de loi, une fois déposé ou jugé recevable, est transmis à la commission compétente pour son examen au fond ou à la séance publique pour son adoption. Cette procédure comporte donc deux phases essentielles qui, tantôt se succèdent, tantôt se chevauchent.
-la phase préparatoire incombe généralement aux commissions générales, à la commission de la chambre entière, etc.
-la phase de discussion ou de décision est réservée aux réunions plénières.
Les commissions jouent donc un rôle important et précis dans le fonctionnement de l’Assemblée : elles facilitent l’examen des questions dans la mesure où celles-ci portent sur des points techniques précis. Ainsi, en permettant un examen plus complet et plus approfondi des problèmes, on aboutit à un gain de temps.
Au Cameroun, lorsqu’un texte est très important pour la vie de la nation, la commission de la chambre entière (toute l’Assemblée se transforme en une commission) se réunit. Ce qui permet une plus grande participation d’un grand nombre de députés aux débats.
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